Extrait :
Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche, avait six enfants, trois garçons et trois filles, et comme ce marchand était un homme d'esprit, il n'épargna rien pour l'éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles ; mais la cadette surtout se faisait admirer, et on ne l'appelait, quand elle était petite, que la Belle Enfant ; en sorte que le nom lui en resta, ce qui donna beaucoup de jalousie à ses soeurs. Cette cadette, qui était plus belle que ses soeurs, était aussi meilleure qu'elles.
Les deux aînées avaient beaucoup d'orgueil, parce qu'elles étaient riches : elles faisaient les dames et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage; mais les deux aînées répondirent qu'elles ne se marieraient jamais, à moins qu'elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins un comte. La Belle (car je vous ai dit que c'était le nom de la plus jeune), la Belle, dis-je, remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l'épouser; mais elle leur dit qu'elle était trop jeune, et qu'elle souhaitait tenir compagnie à son père pendant quelques années.
Tout d'un coup le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu'une petite maison de campagne bien loin de la ville.
Il dit en pleurant à ses enfants qu'il fallait aller demeurer dans cette maison, et qu'en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre. Ses deux filles aînées répondirent qu'elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu'elles avaient plusieurs amants qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu'elles n'eussent plus de fortune.
Biographie de l'auteur :
Jeanne-Marie Leprince de Beaumont est née à Rouen en 1711. À l'âge de quatorze ans, elle entame des études pour être enseignante et devient plus tard la préceptrice de la fille aînée de la duchesse de Lorraine. En 1748, elle se rend à Londres où elle enseigne le français aux enfants de l'aristocratie anglaise. Pour ses élèves, elle recherche et invente des contes. De retour en France en 1762, elle s'installe en Haute-Savoie et consacre son temps à l'écriture. À sa mort en 1780, elle laisse soixante-dix volumes d'écrits où les contes occupent une large place.
Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, Comtesse
d'Aulnoy, naît à Paris en 1650. Après avoir tramé un complot contre son mari, elle s'exile en Angleterre, où quinze années durant, elle "rendra service" à la cour de Versailles. De retour à Paris en 1685, elle tient un salon savant et politique. Elle s'affirme bientôt comme une "gazettière" et rédige des ouvrages documentaires, romance les amours de personnages historiques et, en 1697, publie Contes nouveaux ou fées à la mode. Elle sera la première femme à se lancer dans ce genre. Mme d'Aulnoy meurt en 1705, à l'âge de cinquante-cinq ans.
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