Extrait :
I. Le talisman
Épisode 1
Vers la fin du mois d'octobre 1830, un jeune homme au «sourire amer» entre dans une maison de jeu, à Paris. Après avoir joué et perdu sa dernière pièce d'or, il décide de se jeter dans la Seine aussitôt que la nuit sera tombée. En attendant le moment fatal, il erre dans Paris «d'un pas mélancolique» puis finit par entrer dans un magasin d'antiquités où sont accumulés objets, meubles, livres et oeuvres d'art. Tout à coup une voix terrible l'appelle ; «une espèce de fantôme» fait irruption devant lui : «Il ne l'avait entendu ni venir, ni parler ni se mouvoir.»
Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d'une robe en velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s'appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front. La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d'autre forme humaine qu'un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l'air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait paru suspendu dans les airs. Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de cet être bizarre, et lui donnait l'apparence de ces têtes judaïques qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si décolorées, si minces, qu'il fallait une attention particulière pour deviner la ligne tracée par la bouche dans son blanc visage. Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses, la rigueur implacable de ses petits yeux verts, dénués de cils et de sourcils, pouvaient faire croire à l'inconnu que Le Peseur d'or de Gérard Dow était sorti de son cadre. Une finesse d'inquisiteur, trahie par les sinuosités de ses rides et par les plis circulaires dessinés sur ses tempes, accusait une science profonde des choses de la vie. Il était impossible de tromper cet homme qui semblait avoir le don de surprendre les pensées au fond des coeurs les plus discrets. Les moeurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses se résumaient sur sa face froide, comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux ; vous y auriez lu la tranquillité lucide d'un Dieu qui voit tout, ou la force orgueilleuse d'un homme qui a tout vu.
Biographie de l'auteur :
Balzac, de son vrai nom Balssa, est né à Tours en 1799. Délaissé par sa mère qui lui préfère son fils naturel Henri (auquel est dédié Le Bal de Sceaux), il devient pensionnaire au collège oratorien de Vendôme. À partir de 1814, il fait des études de droit. Mais à vingt ans, sûr de sa vocation littéraire, il s'installe à Paris, et vit dans une mansarde. Il rencontre Laure de Berny de vingt-deux ans son aînée, qui aura une influence décisive sur sa formation. En 1829, Balzac publie «Les Chouans» qui annonce une période de vingt années durant lesquelles il va produire plus de quatre-vingt-cinq romans, tout en menant une vie très active et mondaine. Il est reçu dans différents salons dont celui de Mme de Récamier. Au début de 1830, il donne «Scènes de la vie privée», un recueil de six nouvelles dont fait partie «Le Bal de Sceau»x, premier élément de «La Comédie Humaine», suivi de «La Duchesse de Langeais», du «Curé de Tours», du «Colonel Chabert»... 1832 voit le début de sa longue correspondance avec Mme Hanska. À partir de 1838, paraissent de nombreux romans dont «César Birotteau», le début des «Illusions perdues», la première partie de «Splendeurs et Misères des courtisanes», «Béatrix», «Le Curé de Village»... À la fin de 1841, Balzac met au point le plan de l'ambitieuse et inégalée «Comédie humaine» soutenu par quatre éditeurs et continue à publier : «Ursule Mirouet», «Modeste Mignon», «La Cousine Bette», «Le Cousin Pons»... Le 14 mars 1850, Balzac épouse enfin Mme Hanska mais il tombe gravement malade. Il meurt à Paris le 18 août 1850, et est enterré au Père Lachaise. Victor Hugo prononce l'éloge funèbre.
Né à Paris le 14 mars 1909, André Pieyre de Mandiargues entreprend une licence de lettres, puis l'abandonne. Il s'intéresse à la civilisation étrusque, visite l'Europe et l'Orient méditerranéen et commence à écrire, sans parler à personne de cette activité. Pendant la guerre, il se retire à Monaco où il publie, en 1943, Dans les années sordides. Il rentre à Paris en 1945. Malgré ses affinités avec le groupe surréaliste, il ne participe à ses activités qu'après sa rencontre avec André Breton, en 1947. Passionné de peinture, il écrit des essais sur l'art, ancien et moderne. Poète, romancier, auteur dramatique, essayiste, André Pieyre de Mandiargues a reçu le prix Goncourt en 1967. Il est décédé en 1991.
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