Extrait :
A MON PÈRE
Sylvain allait de maison en maison proposer du tabac belge.
Il avait, pour sonner aux portes et faire ses offres à ses clients, une façon à lui, la façon des fraudeurs, qui ne savent jamais s'ils vont voir devant eux un ami ou un ennemi. Il appuyait sa bicyclette contre le mur, allait tirer la sonnette, et revenait à «m vélo. Il l'enfourchait, posait le pied sur la pédale, se tenait prêt à démarrer. La porte s'ouvrait.
- Pas de tabac ? soufflait Sylvain.
- Pas cette semaine.
La porte se refermait. Et Sylvain s'en allait plus loin, sonner à une autre porte.
Sylvain était un homme de trente ans, grand et large d'épaules, avec une tête qui plaisait par quelque chose de naïf et de franc répandu sur ses traits. Il avait des cheveux châtains, mal plantés, taillés en brosse et dominant son front haut. Son nez d'ancien boxeur était aplati et élargi à la base, sans être pour cela complètement déformé. Ses yeux bruns étaient petits et brillants, - celui qu'on lui voyait, tout au moins, car l'autre était entièrement masqué par une énorme enflure violacée. Cela l'enlaidissait, lui déformait le visage, sans parvenir à rendre antipathiques ses traits où se lisait une certaine douceur candide contrastant singulièrement avec son physique d'athlète. Il était vêtu en maçon. Il portait un lourd pantalon de velours d'Amiens, immense, descendant en vastes plis le long de ses jambes, et retenu à la taille par une ceinture de flanelle bleue. Sur le torse, il avait une espèce de gilet, taillé dans le même velours côtelé, et sur lequel étaient cousues des manches de lustrine noire solide. Aux pieds, des espadrilles blanches maculées. Tout son accoutrement était couvert de plaques de mortier, et d'une fine poussière de chaux. Il avait ficelé sur la barre horizontale du cadre de sa bicyclette une pelle de maçon, à fer carré. Et, tenant d'une main le guidon de son vélo, il équilibrait de l'autre, sur son épaule, un sac à ciment qui était censé contenir sa truelle et ses outils.
Présentation de l'éditeur :
Prix Concourt, Grand prix de l'Académie française, l'écrivain Maxence Van der Meersch (1907-1951) est un des grands «peintres du Nord», sa région natale. Avec près de vingt romans, il a imposé une oeuvre qui s'inscrit dans la lignée d'André Maurois, François Mauriac ou Roger Martin du Gard, privilégiant la peinture de moeurs, l'analyse humaniste, mais proposant avant tout un certain regard sur la société de l'entre-deux-guerres et le monde ouvrier. Publié en 1932, La maison dans la dune, son premier roman, eut un succès immédiat. Dans l'atmosphère brumeuse et glacée du Nord, douaniers et contrebandiers s'affrontent, les hommes et leurs chiens se livrant des combats souvent mortels. La rencontre de Sylvain le contrebandier et de Jacqueline est le début d'une histoire passionnelle, à l'image de ce roman violent, vrai, et profondément humain, qui offre l'occasion de redécouvrir un grand écrivain.
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