Extrait :
Extrait du prologue
C'était là.
Je suis face à une bâtisse aux portes fermées, semblable aux autres bâtiments alentour.
C'est là que tant de cobayes humains ont subi les sévices de ceux qui étaient appelés «docteurs», des docteurs que mes deux grands-pères, disparus dans ce sinistre camp, ont peut-être croisés.
C'est là que le plus célèbre d'entre eux, Josef Mengele, observait avec avidité les jumeaux qu'il allait sacrifier. Puis autopsier.
Autopsier pour voir.
Pour essayer de trouver.
Pour essayer de comprendre.
Voir, trouver, comprendre... mais quoi ?
Je suis saisi, muet, pétrifié, devant ce lieu chargé d'horreurs.
Derrière ces murs, ces fenêtres fermées, ces portes closes, j'entends les cris, les pleurs.
Je devine les corps décharnés se tordant de douleur, suppliant, toutes les images atroces que l'histoire de cette période porte sur ses bras.
Je suis à Auschwitz-Birkenau.
Il s'agit d'un voyage de mémoire, un pèlerinage personnel que j'ai maintes fois repoussé.
Là, devant ce bâtiment, mon coeur de médecin ne comprend pas.
Comment peut-on vouloir épouser un métier dont le but ultime est de sauver des vies et donner la mort à ceux que l'on ne considère plus comme des êtres humains ?
Je sais que c'est une question naïve, simpliste, et je ne peux que la formuler. Je veux savoir.
Maintes fois, j'ai lu et relu ceux qui essaient d'expliquer l'inexplicable.
Mais là, sur les lieux du crime, je vois.
Plus d'analyses. Plus d'explications.
Juste l'effroi.
L'horreur par procuration. Témoigner.
Un mot. Un sentiment. Une injonction qui me vient brutalement ce jour-là, en même temps qu'un sentiment d'indécence. De quoi témoignerais-je, moi qui n'ai rien vécu de tel. De quoi parlerais-je ?
De mon émotion ? De ma souffrance morale ?
Revue de presse :
Comment un médecin peut-il devenir un bourreau ?...
A travers une série de portraits, véritable galerie de monstres, son interrogation perdure. Car ils n'étaient pas fous, ces docteurs de l'horreur qui pratiquaient des expériences sur des cobayes humains. Juste des serviteurs zélés du nazisme, déshumanisés et sadiques...
Né d'une nécessité pressante, son livre, nourri des travaux de François Bayle, de Christian Bernadac et de Philippe Aziz, a l'intérêt de confronter le regard d'un médecin à des expériences aberrantes dont il démontre la sauvagerie autant que l'inanité - car certaines voix allèguent en sourdine qu'elles auraient permis des avancées scientifiques. (Claire Julliard - L'Obs du 26 février 2015)
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