Extrait :
Extrait de l'introduction
C'est un livre qui aura décidé de ma passion. Pas une édition rare, pas un coûteux album orné de planches hors-texte ; pas même un de ces monuments de papier que les vieux maîtres - les Nolhac, les Verlet - ont consacrés au monument de pierre... Non. Le livre dont il s'agit est un simple manuel illustré de cent soixante pages, publié par la maison Nathan et signé d'un auteur abonné, après la guerre, aux précis pédagogiques : A. de Montgon - le «A» valant pour Adhémar.
Ma mère conservait ce trésor dans un placard. Elle me le confia en toute solennité, un soir où j'étais rentré de l'école, grisé par une leçon sur Louis XIV et sa cour. Maquette austère, en noir et blanc, sous une couverture cartonnée : l'ouvrage aurait eu de quoi rebuter un enfant de sept ou huit ans. Mais, outre l'à-propos de son irruption dans ma vie, il se trouva ennobli à mes yeux par une étiquette blanc et bleu qui, fixée par un point de colle à sa première garde, portait la mention : Collège de la Providence - prix d'excellence 1957.
Je le feuillette en écrivant ces lignes...
Habituellement, j'évite de l'ouvrir, afin de préserver le peu qu'il reste de son parfum : une effluence délicate et suave, comme un bouquet chanci d'encre, de cire et de pourriture noble. Cette odeur a perdu de sa force ; j'en ménage d'autant plus les traces, comme un collectionneur s'interdirait de contempler au grand jour une mine de plomb déjà très effacée.
Ce qui me frappe, en retrouvant ses illustrations familières, c'est l'espèce de torpeur qui s'en dégage. Goût de la solitude ou recherche de l'épure ? Les enfilades vides, les perspectives inhabitées, les escaliers dépeuplés de ce palais nourrissent ma rêverie. La Grande galerie, dans son dénuement d'alors, comme les allées désertes aux limites du Petit Parc, ravivent mes songes d'enfant. Nul ne s'aviserait de troubler une telle solitude, si ce ne sont quelques figures fantomatiques, échappées de documents d'époque : gravures de fêtes, scènes et portraits de cour venant à l'appui du texte...
Car M. de Montgon - en bon gendre de G. Lenotre - s'épanouit dans l'historiette royale et nous apprend comment Louis XIV reprit un jour Louvois sur les dimensions d'une croisée, comment les valets de Louis XV s'amusaient parfois aux dépens de son chat blanc, comment les poufs à la sultane, aux sentiments, à la Carmélite, au Trésor royal ornèrent, tour à tour, le chef de Marie-Antoinette... Aucun architecte dans ces lignes, pas de peintre ni de jardinier ! Seulement des rois, des princesses, de beaux seigneurs et de gentes dames... Au vrai, c'est où réside sans doute la magie du manuel de mon enfance : dans la peinture élégiaque d'un Versailles éternel, décor immanent d'événements sans ombre. En somme, un endroit hors du temps, à l'abri des atteintes du réel - comme ces tableaux officiels qui magnifient la bataille en escamotant ses à-côtés pénibles.
Présentation de l'éditeur :
Versailles est sans doute, au monde, le palais qui aura suscité le plus d’écrits convenus – souvent inexacts. Une infinité de platitudes ont été ressassées à propos de cet emblème de la monarchie française, création personnelle du « Roi-Soleil », cadre brillant des amours du « Bien Aimé » et des frivolités de « l’Autrichienne »… Il est vrai que la « grandiose monotonie » instituée par Le Nôtre et par Hardouin-Mansart est un piège où tombent volontiers les auteurs, prisonniers du poncif et du superlatif. A qui voudrait brosser de ce chef-d’œuvre archiconnu un portrait plus juste et plus sensible, il ne suffirait pas de scruter – comme tant de magazines – les secrets et les coulisses de l’ancienne demeure des rois. Encore faut-il envisager le sujet sous un jour personnel, imprévisible. C’est bien le mérite des Dictionnaires amoureux ; or, Franck Ferrand a su mettre leur approche subjective au service d’une véritable redécouverte des lieux. Le château et ses décors, les jardins, le domaine – et jusqu’à cet « esprit de cour » dont Versailles aura été le creuset – apparaissent ici sous un jour vraiment neuf : ils retrouvent leur exubérance native et renouent avec une forme de virginité. Franck Ferrand revisite la bibliographie consacrée ; il convoque le Versailles d’aujourd’hui autant que celui d’autrefois ; il interroge la notion de grandeur et celle de symétrie, révèle les imperfections de l’architecture mais aussi ses prouesses oubliées, les beautés et les failles cachées de l’histoire... Dès lors, au fil de pages irriguées par une connaissance intime et pratique de ces lieux de légende, c’est non seulement une civilisation, aujourd’hui mal comprise, qui ressuscite ; c’est aussi le « mythe versaillais » qui reprend vie à travers la photographie, la chanson, le théâtre, le cinéma, la télévision…
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