Extrait :
Comme c'est étonnant, me dis-je, qu'Hélène, qui m'écrivait sans cesse lorsque nous nous sommes rencontrés, ne réponde plus à mes lettres aujourd'hui que notre famille se délite. Son silence me laisse si démuni, si tremblant, que je dois sortir marcher sur ce boulevard de Belleville que je déteste. Au lieu d'aller me coucher près d'elle, puisqu'il est tard, déjà, puisque je suis tellement fatigué. Hélène, qui me semblait si forte, ne sait plus, soudain.
On dirait qu'elle ne croit plus à tout ce qu'elle a prétendu depuis des années, me dis-je, tandis que je marche sur le terre-plein central baigné de crépuscule en direction du Père-Lachaise. Tout est laid, ici, me dis-je, contournant une barrière de chantier contre laquelle une femme s'est allongée sur un matelas auprès d'un caddie de supermarché bourré de saloperies : des cartons, des bouteilles, des vêtements dont les manches pendent sur le côté... Je revois Hélène m'expliquant comment m'organiser avec mes deux enfants, chassant les difficultés que je soulève d'une intonation chantante, d'un petit pas de danse dans la cuisine de notre premier appartement, se proposant de les conduire elle-même à l'école, à Fontenay, au volant de ma voiture, si je ne m'en sors pas certains matins. Hélène qui n'a que vingt-cinq ans, alors, qui m'aime et me l'écrit tous les jours, tandis que j'en ai quarante et tente de surmonter le départ d'Agnès, ma première femme, et de faire bonne figure auprès de David et de Claire, six et trois ans.
- Non, sûrement pas, Hélène, ce n'est pas à toi de conduire mes enfants à l'école.
- Marc !
Elle pouvait s'en aller, disparaître sur une si petite réflexion. Je souris en me remémorant combien Hélène était susceptible. Elle l'est toujours autant aujourd'hui, tant d'années après, me dis-je. Tant d'années après. Ce n'est pas elle qui a changé, c'est moi. C'est moi qui ai complètement bouleversé ma façon de lui parler pour ne plus jamais la blesser.
- Toi, papa, dit Coline, notre plus jeune fille, tu es comme un petit chien devant maman, tu fais ses quatre volontés.
- Oui, c'est vrai, Coline, dis-je en éclatant de rire pour lui montrer combien sa comparaison désobligeante ne m'atteint pas, mais c'est parce que j'aime ta maman.
- Ce n'est pas une raison. Après, madame se prend pour la reine, elle se croit tout permis.
- Bon, vous êtes chiants à la fin, nous interrompt Anna, on ne peut jamais parler de choses intéressantes avec vous.
Revue de presse :
Avec Colères, Lionel Duroy reprend le fil de son naufrage familial. Toujours vibrant...
Il revisite aussi chaque conversation, chaque geste, creuse sans fin les tréfonds de son être. "J'ai fait quelque chose contre la peur. Je suis resté assis toute la nuit et j'ai écrit", note Rilke dans Les Cahiers de Malte. Duroy a suivi son exemple. Ecriture salvatrice ou sismique ? (Marianne Payot - L'Express, avril 2011 )
Un mot revient souvent dans ce nouvel opus autobiographique de Lionel Duroy : tremblement. Comme un arbre entre deux orages, l'auteur frissonne. Colères est un livre de peur et de reproches, écrit la tête basse et les yeux vagues. Un livre qui se mord les doigts, comme le faisait le père de l'écrivain, figure tutélaire de son oeuvre littéraire sur la noblesse de la faiblesse. De sa sensibilité dévastatrice, qui suscite chez lui d'impérieuses fuites solitaires, à pied, à vélo, en pensée ou par écrit, Lionel Duroy a su apprivoiser la singularité... (Marine Landrot - Télérama du 13 avril 2011 )
Alors que son précédent livre, "Le Chagrin", sort en librairie et rencontre un vrai succès, Lionel Duroy subit le délitement de sa famille, notamment la rupture violente avec son fils, qui lui impose d'écrire en urgence...
Dès son premier livre, Lionel Duroy qui cherchait par l'écriture à colmater son enfance dévastée et à lier les siens par la grâce d'un récit a été rejeté par eux, paria devenu infréquentable. Pourtant, il écrit encore et toujours. Inlassablement. En quête d'une paix intérieure qui jamais ne lui est accordée. Pages fiévreuses, tournoyantes autour du motif, dans le vertige de l'accablement, poussées par l'urgence et la rage. Lionel Duroy est pris dans un dilemme sans fin : «À dire les choses, on ne peut que faire du mal, mais à ne pas les dire, on meurt.» (Jean-Claude Raspiengeas - La Croix du 20 avril 2011 )
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