Extrait :
Extrait de l'introduction :
Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la France a voulu réinventer le théâtre. Elle a cherché des modèles du côté de l'Italie moderne mais aussi de l'Antiquité, à travers l'extraordinaire interprétation de Palladio pour le théâtre Olympique de Vicence. Elle a élaboré des projets, en rupture, plus théorique que réelle, avec les théâtres italiens et en communion, plus mythique que réelle, avec le modèle antique.
Il a fallu résoudre des questions qui étaient propres aux moeurs françaises comme la présence des spectateurs sur la scène ou la suppression des places debout dans le parterre. Chaque réforme fut objet de discussions et provoqua une floraison de textes de tous ordres (des articles de journaux aux traités, des préfaces aux essais), sous les plumes les plus diverses (de Voltaire à Ledoux, de Marmontel à Boullée), et de projets (plus de soixante-dix architectes dessinent un ou plusieurs théâtres entre 1748 et 1807).
La nouvelle conception du théâtre est à la fois esthétique et politique, morale et sociale. La scène et la salle procèdent, chacune avec ses problèmes spécifiques, de l'ensemble de ces enjeux qui s'interpénètrent.
La scène doit d'abord conquérir un espace autonome, en se libérant des spectateurs qui l'encombrent. Cette réforme advient en 1759 et ouvre des horizons nouveaux aux décors et aux acteurs. Tous les rêves sont alors permis. On imagine une grande scène triple où des colonnes délimiteraient plusieurs lieux simultanés, sans changement de décor, avant de revenir à l'idée du décor successif. D'autres réformes concernant l'éclairage et le temps des entractes vont contribuer à la séparation virtuelle de la scène et de la salle, tandis que la question de la suppression des loges dans l'arc d'avant-scène, essentielle dans l'esthétique du «tableau dramatique», est difficile à appliquer dans la pratique, pour des raisons de «préséances et de vanités». Cependant, dans les nouvelles salles, malgré le maintien de ces loges, le cadrage de la scène se fait plus net. Dans cette zone intermédiaire, entre la scène et la salle, on tente de concilier les exigences de l'une et de l'autre. L'acteur commence à abandonner le proscenium où il jouait traditionnellement pour rentrer dans la «boîte».
La salle se veut «naturelle» et civique, proche du modèle de l'amphithéâtre antique, mais elle doit aussi «contenter» tous les ordres de spectateurs, avides d'un double plaisir, celui de voir et d'être vus. La salle est autant préoccupée du spectacle qu'elle regarde que de celui qu'elle offre. S'y expriment les luttes, les contradictions et les compromis de l'époque. Au nom d'une sociabilité éclairée, l'étagement et le cloisonnement des salles italiennes (marque d'une société fermée sur elle-même, non illuminata) sont condamnés. La salle française s'ouvre au regard avec ses balcons et ses séparations de loges à hauteur d'appui, mais conserve néanmoins ses «baignoires» autour du parterre, munies le plus souvent de grilles, et ses petites loges où l'on peut s'isoler et où l'on offense quelquefois la pudeur. La salle reste éclairée durant la représentation pour des raisons à la fois morales (la décence) et mondaines (le jeu des regards). On hésite à faire asseoir tous les spectateurs dans le parterre, par crainte de rompre un équilibre dont on est convaincu, dans les rangs des philosophes, qu'il est bénéfique à la salle, justement grâce aux tensions, esthétiques autant que politiques, morales autant que sociales, qui se créent entre les différents ordres de place, entre le public du parterre debout et celui des loges. Le débat sur l'architecture des salles oscille continuellement entre mondanité et égalité. La salle idéale se fonde sur l'égalité, mais en même temps elle souligne la hiérarchie sociale et la division des sexes.
On y découvre que les femmes, tout en étant considérées comme un public à part, jouent un rôle déterminant pour certaines questions concernant la structure même de la salle (le débat sur les gradins et les loges et sur leur présence au parterre) ou plus simplement à propos de la couleur. Le bleu, couleur dominante des salles du XVIIIe siècle, est celle qui met en valeur la beauté des femmes. Les femmes jouent aussi le jeu de la séduction et le poussent parfois jusqu'au libertinage. Femmes objets, diraient certaines aujourd'hui, femmes «ornements de la salle» comme on disait à l'époque, mais pas seulement. La présence des femmes contribue à la fois au plaisir de la salle et à son unanimité. La femme est ornement et animatrice de la vie sociale. Elle conquiert sa place dans la salle des Lumières.
Présentation de l'éditeur :
Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la France réinvente le Théâtre. La scène devient alors un espace autonome : il n'y a plus de spectateurs sur la scène, plus de places debout au parterre ! La scène s'ouvre au regard. L'éclairage, la place des acteurs : tout va changer.
Tous les hommes de lettres, architectes, journalistes, de Voltaire à Ledoux, de Marmontel à Boullée, discutent et accompagnent ces transformations qui font les salles de théâtre telles que nous les connaissons aujourd'hui. Ce sont tous ces débats où se mêlent idéal des Lumières, comportement mondain, misogynie que fait revivre Michèle Sajous D'Oria. Le bleu et l'or, longtemps réservés à la monarchie et à l'Église, deviennent les signes d'une dignité nouvelle des salles de spectacle.
Une centaine de théâtres ont été construits entre 1748 et 1807, date à laquelle Napoléon reprend en main les spectacles. Michèle Sajous sait faire revivre pour nous par l'anecdote et l'image cette période d'intense activité et de profonds renouvellements.
Michèle Sajous D'Oria est professeur à l'Université de Bari (Italie). Elle a édité Nicodème dans la lune, ou la Révolution pacifique de Beffroy de Reigny (1982), et est devenue l'une des spécialistes de l'histoire des salles de spectacles en France.
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