Extrait :
1
Depuis tout petit, je veux tuer le ciel à cause de maman qui me dit souvent :
«Le ciel, ma Courgette, c'est grand pour nous rappeler qu'on n'est pas grand-chose dessous.»
«La vie, ça ressemble en pire à tout ce gris du ciel avec ces saloperies de nuages qui pissent que du malheur.»
«Tous les hommes ont la tête dans les nuages. Qu'ils y restent donc, comme ton abruti de père qui est parti faire le tour du monde avec une poule.»
Des fois, maman dit n'importe quoi.
J'étais trop petit quand mon papa est parti, mais je vois pas pourquoi il aurait emmené une poule au voisin pour faire le tour du monde avec. C'est bête une poule : ça boit la bière que je mélange aux graines et après ça titube jusqu'au mur avant de s'écrouler par terre.
Et c'est pas sa faute si maman raconte des bêtises pareilles. C'est à cause de toutes ces bières qu'elle boit en regardant la télé.
Et elle râle après le ciel et elle me tape dessus alors que j'ai même pas fait de bêtises.
Et je finis par me dire que le ciel et les coups ça va ensemble.
Si je tue le ciel, ça va calmer maman et je pourrai regarder tranquille la télé sans me prendre la raclée du siècle.
2
Aujourd'hui, c'est mercredi.
La maîtresse dit que «c'est le dimanche des enfants».
Moi, je préfère aller à l'école. Maman regarde la télé et j'ai envie de jouer aux billes avec Grégory, mais Grégory habite loin et il peut plus dormir à la maison depuis que nos mamans se sont disputées à cause du ballon et de la fenêtre cassée. Maman a dit dans le téléphone que Grégory était «un vaurien» avant de raccrocher sur un «sale pute» à cause de la dame qui gueulait «c'est toujours mieux qu'une alcoolique».
Je dis à maman «viens jouer avec moi aux billes» et maman dit à la télé «attention, il est derrière toi, il va te tuer» alors j'insiste et maman parle à la télé «il est vraiment con celui-là» et je sais pas si le con c'est moi ou le monsieur qui vient de se faire buter alors que maman l'a prévenu.
Je monte dans ma chambre et je regarde par la fenêtre le fils au voisin qui n'a jamais besoin de personne pour s'amuser. Il grimpe sur un cochon comme si c'était un âne et il rigole tout seul. Moi, je suis triste, alors je vais dans la chambre à ma mère avec le lit pas fait et les habits par terre et je fais son lit et j'ai besoin d'une chaise pour poser ses affaires sur la montagne du panier à linge sale et après je sais plus quoi faire alors je fouille et dans un tiroir de la commode, sous la pile de chemises pas repassées, je trouve un revolver.
Je suis super content, je me dis «je vais aller jouer avec dans le jardin». Je sors, l'air de rien, avec le revolver caché dans mon pantalon.
De toute façon, maman me regarde pas, elle dit à la télé «cette fille-là, elle est pas pour toi mon gars !».
Une fois dehors, j'ai pas à viser. C'est grand le ciel.
Je tire une fois et je tombe par terre.
Je me relève et je tire une deuxième fois et je retombe.
Un mot de l'auteur :
A mes lectrices, à mes lecteurs qui depuis onze ans apprécient ou découvrent "Autobiographie d'une Courgette", à celles et ceux que j'ai rencontrés sur des salons ou dans des librairies en province, voici une nouvelle version de la Courgette, revisitée par les superbes dessins de Charles Berbérian, avec des jeux, des tests, une interview de l'auteur, son portrait chinois, un avant-propos et une couverture canari qui me réjouit. Et pour tous ceux qui ne me connaissent pas encore, entrez dans la légèreté et la gravité de ce roman, car si le thème peut vous paraître rude et, d'une certaine manière il l'est, il faut toujours se méfier de l'eau qui dort !
Gilles Paris
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