Extrait :
Son empressement à extirper ce fichu truc en liège était tel que le bouchon finit par se rompre dans le goulot. Il lâcha un juron puis fouilla le tiroir à la recherche d'un couteau qu'il finit par dénicher au milieu d'un fatras de couverts, d'instruments de cuisine et de toutes sortes de détritus. De la pointe de la lame, il fit tomber ce qui restait du bouchon dans le vin rouge. Du même tiroir, il sortit une passoire en métal piquée de rouille à force de ne pas servir et l'utilisa pour filtrer le contenu de deux grands verres. Il se félicita de sa capacité à récupérer la situation et prit une profonde inspiration.
Cela n'allait pas être simple. Une odeur d'humidité flottait dans l'air. Il ne se rappelait pas à quand remontait la dernière fois qu'il avait ouvert une fenêtre, encore moins pulvérisé du désodorisant. Qu'est-ce qui lui avait pris de l'amener ici ?
Ne perds pas le contrôle, se dit-il. Reste dans l'instant. Il s'imaginait ne jamais connaître un moment comme celui-là. Elle ne s'était pas enfuie en courant. Pas encore. Sa maladresse risquait de tout gâcher et il s'en voudrait à jamais. Il passa sa main moite dans ses cheveux, se frotta le visage avec la paume, inspira profondément pour la deuxième fois, ramassa les verres et retourna dans le salon.
Elle était debout devant la table et sortait du sac les plats à emporter qu'elle disposait avec soin sur les serviettes en papier fournies par le restaurant. Son parfum était puissant mais agréable. Mêlé aux senteurs de la nourriture, il masquait l'odeur d'humidité. Il ressentit un autre pincement d'anxiété. S'il avait su qu'ils viendraient ici pour leur premier rendez-vous, il aurait pris la peine de faire un ménage plus approfondi. Dans le séjour, cela allait à peu près, mais il ne fallait pas qu'il la laisse s'approcher de la cuisine. L'évier débordait de vaisselle sale et il imaginait aisément que des formes de vie douteuses avaient dû commencer à se développer dans les strates les plus anciennes.
Il lui tendit un verre, miraculeusement propre. Elle lui adressa un sourire plein de chaleur. Elle ne semblait pas gênée. Ils burent une gorgée de vin. Les effluves de curry lui chatouillèrent les narines et son estomac gargouilla. Il avait l'impression d'être une boule de nerfs. Cela faisait si longtemps. Ça n'était pas tant qu'il manquait de pratique mais plutôt qu'il n'était jamais en condition. Quand elle avait proposé de quitter le bar où ils s'étaient retrouvés, il avait immédiatement accepté, sans vraiment croire à sa chance. Il avait suggéré un curry et elle avait dit oui, s'ils commandaient des plats à emporter. «On va chez moi ?», avait-il demandé, certain qu'elle refuserait. Elle avait répondu «d'accord» et avait souri. Depuis cet instant, sa respiration s'était accélérée et ses mains étaient moites. Il essayait tant bien que mal de dissimuler sa gêne et de paraître normal. Ou quelque chose de ressemblant.
Un mot de l'auteur :
Après l'Angleterre victorienne (Code 1879) et l'univers méconnu des Mormons (Depuis le temps de vos pères), Dan Waddell nous plonge avec ce troisième récit dans une Angleterre abîmée par le thatchérisme, la fermeture des mines et la lente agonie des villes ouvrières du nord. Débutant par les répliques dévastatrices d'un fait divers tragique - deux enfants assassins - Dan Waddell embarque le lecteur dans une nouvelle course contre la montre qui va être l'occasion d'en apprendre plus sur l'inspecteur Grant Foster et le généalogiste Nigel Barnes, deux des principaux personnages de la série. J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cet ouvrage que j'en ai eu à le traduire. Bons frissons à toutes et à tous !
Jean-René Dastugue
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