Extrait :
La place des choses regardées
«L'Hiéroglyphe, c'est de la peinture codée, je connais tellement les lois de la peinture qu'il m'est possible de justifier toutes mes interprétations hiéroglyphiques, c'est un nouveau langage non plus par la voie visuelle à 3 dimensions, mais par la voie mixte intellectuelle et visuelle à 2 dimensions».
Découvrir aujourd'hui Francis Harburger, c'est accepter l'aventure d'un terrain de recherches et renoncer au sens logique de la chronologie convenue qui irait de l'observation méticuleuse vers la traduction schématisée. Harburger a laissé un oeuvre important, paradoxal et multiple. En faisant le choix de se centrer sur les hiéroglyphes, cette exposition réalise un souhait de l'artiste qu'évoque Suzanne Rosenberg lorsqu'elle rappelle qu'Harburger «rêvait d'une exposition qui ne serait consacrée qu'à ses hiéroglyphes». Pour autant, le parti pris qui est le nôtre en la circonstance doit surtout permettre de mettre en évidence l'exemplarité d'une démarche conceptuelle qui sait se nourrir d'une longue et belle familiarité avec le Langage de la peinture.
La terrible réalité de la spoliation dont Harburger fut la victime comme nombre d'artistes et collectionneurs juifs durant l'occupation allemande et les lois antisémites du régime de Vichy, ampute fortement le catalogue du peintre. À son retour à Paris, il tente de reconstruire ce passé dérobé mais ne s'enferme pas dans la répétition ou la nostalgie. Au contraire, il comprend parfaitement que son travail doit alors se bâtir à l'aune d'un temps nouveau. Peut-on, semble alors dire Harburger, porter un regard inchangé sur un monde bouleversé ? Ses grandes peintures civiques - manifestes écologiques, antiracistes, européens... - sont là pour témoigner de l'engagement d'un homme attentif aux débats de son temps et aux enjeux de l'avenir. Son regard sur l'objet, dans les hiéroglyphes précisément, perce l'essence du motif et va de fait au-delà de la présentation objective pour tendre à la restitution subjective du quotidien. Dans le même temps, les recherches qu'il engage pour retrouver la trace de son passé spolié prouvent tout autant qu'il revendique l'itinéraire qui est le sien. En 1974, il affirme cette cohérence en qualifiant le hiéroglyphe de «définition humaniste plane et codée de l'objet».
Présentation de l'éditeur :
Né à Oran dans une famille juive d'origine alsacienne, Francis Harburger arrive en 1921 à Paris. Élève de l'École des Arts Décoratifs, puis de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, il est en 1928 le premier pensionnaire de la Casa Vélasquez à Madrid. À son retour, en 1929, il expose dans différentes galeries et Salons, dont celui des Indépendants dont il sera plus tard le Secrétaire Général. En 1933, il débute une carrière d'enseignant qui durera jusqu'en 1970. En 1940, après onze mois dans l'infanterie, il subit les lois antisémites de Vichy et quitte Paris pour Alger où il vit avec sa famille jusqu'en 1945. Victime des spoliations nazies qui le privent de son atelier, de son oeuvre et de ses collections, il ne parviendra pas totalement à les récupérer après l'Occupation.
Après la guerre, face à un monde bouleversé, Harburger s'engage dans de nouvelles voies artistiques et affirme de profondes convictions humanistes. En 1949, il rédige un Manifeste Réaliste-Humaniste dont la revue Esprit publie des passages l'année suivante. En 1963, il publie Le langage de la peinture qui explique son travail et témoigne de ses recherches pour la représentation d'objets du quotidien qui aboutissent au principe des «hiéroglyphes». Ces assemblages formels constituent l'essentiel de l'exposition qu'organisent les musées de Roubaix, Beauvais et Trouville-sur-Mer. L'exposition et cette publication réunissent près d'une centaine d'oeuvres et révèlent, à partir de carnets de notes et de dessins préparatoires, la méthode d'un artiste initiateur d'une séduisante théorie du regard sur l'objet.
Grâce à un texte de Caroline Larroche, spécialiste d'Harburger, et à une contribution de Didier Schulmann sur les spoliations nazies et vichystes dont fut victime le peintre, se font jour ici l'itinéraire et les convictions d'un artiste attachant et trop mal connu.
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