Extrait :
Extrait de l'introduction
L'histoire urbaine est aujourd'hui un des champs les plus dynamiques de la recherche historique consacrée à la Chine impériale tardive. Pourtant, les formes de gouvernement des villes du pays et leurs évolutions dans le temps demeurent très largement aux marges des interrogations des historiens, un constat étonnant quand on sait que, dès les années 1910, Max Weber avait élaboré son modèle de la ville chinoise comme le lieu par excellence du pouvoir étatique, tout à la fois symbole de l'autorité impériale centralisée et siège privilégié de ses représentants (WEBER, 1982 [1921] : chap. 1er, 2000 [1916] : chap. 1er). Il n'est pas question d'affirmer ici que ce volet du phénomène urbain en Chine nous soit totalement inconnu (CARTIER, 1970), mais force est de constater qu'à quelques rares exceptions près, il est difficile, dans l'état actuel de nos connaissances, de décrire de façon concrète et précise le gouvernement de telle ville avant l'extrême fin du XIXe, sinon les débuts du XXe siècle. Cette situation s'explique de différentes façons.
On notera en premier lieu que depuis l'unification de l'empire, en 221 avant notre ère, jamais les villes en Chine n'ont joui d'un statut administratif distinct. Elles furent systématiquement fondues dans le réseau des circonscriptions territoriales, composé sous les Qing de trois subdivisions hiérarchiques principales : les sous-préfectures et les départements (xian et zhou), les préfectures (fui et les provinces (sheng). Or, outre les villes elles-mêmes, qui en étaient souvent les sièges administratifs, ces entités territoriales englobaient des zones rurales très étendues. Cette caractéristique aurait contribué à brouiller la différence entre villes et campagnes dans la pratique gouvernementale, le «cahier des charges» des représentants locaux de l'État impérial ne comprenant pas de responsabilité exclusivement urbaine. Un rapide survol des nombreux manuels et vade-mecum à l'usage des fonctionnaires de la période impériale tardive confirme l'absence de perspective proprement urbaine de gouvernement, quand bien même l'essentiel de l'activité administrative de ces hommes se déroulait dans un cadre citadin En soi, cela ne signifie pas que les villes ne tenaient pas une place à part dans la pratique quotidienne des administrateurs chinois - on imagine mal en effet comment cela n'aurait pas été le cas au moins pour les plus grandes d'entre elles, tant leurs réalités respectives différaient, et tant elles se distinguaient, sous les Ming et les Qing, de l'expérience vécue par les communautés rurales du pays. Cela implique simplement qu'aucune distinction n'était établie entre les dimensions urbaines ou non de leurs responsabilités administratives.
Présentation de l'éditeur :
Comment la ville de Pékin fut-elle gouvernée sous la dynastie des Qing, dans un pays où la ville semble ne pas avoir eu de réalité administrative ? Après avoir dressé un portrait historique inédit de cette métropole hors du commun, Luca Gabbiani décrit au plus près le fonctionnement des instances du gouvernement urbain, dominées par le fait impérial mandchou. Les domaines de la sécurité et de la justice sont au coeur de cette gestion, de même que l'assistance publique et l'entretien des infrastructures urbaines telles que la voirie.
Un éclairage est porté sur les réformes profondes engagées au début du XXe siècle, ouvrant des perspectives aussi saisissantes que peu conformes aux opinions communément admises. Laboratoire de ces efforts de modernisation, Pékin a servi de modèle et d'étalon à d'autres villes du pays. Demeuré largement dans l'ombre jusqu'à présent, cet apport contredit l'idée communément admise, qui voudrait que l'expérience pékinoise au cours des dernières décennies du régime impérial n'ait eu qu'une incidence marginale, sinon négative, sur la transformation du pays et sur l'édification de son futur.
Historien, spécialiste de la Chine impériale tardive (XVIIe-XXe siècles), Luca Gabbiani est maître de conférences à l'École française d'Extrême-Orient (EFEO). Après quatre années passées au Centre EFEO de Taipei (Taiwan) de 2007 à 2011, il est à présent en poste au Centre EFEO de Pékin.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.