Extrait :
Au commencement il y eut les champs. En ce temps-là, Othniel Assis était installé à Maaleh Hermesh, où il élevait une chèvre pour son plaisir, tout en cultivant de la roquette et des tomates cerises dans le jardin de sa maison. La chèvre était destinée aux enfants ; la roquette et les tomates, aux salades de son épouse Rachel. Othniel vit que tout cela était très bien ; il prit en dégoût sa profession d'expert-comptable, et afin d'accroître ses récoltes, trouva un champ de taille modeste qui dépendait de l'implantation.
Toutefois, ce champ longeait des vignes dont les fruits servaient à faire le vin qu'un des habitants proposait dans sa boutique, et prétendait vendre à quelques restaurants chics, à La Pomme d'Or situé à Tel-Aviv, ou même dans des établissements de la vallée de la Dordogne et à Paris. Le vigneron fit la grimace ; le Conseil régional, affirma-t-il, lui avait accordé la permission d'élargir ses plantations jusqu'au champ que voulait acquérir Othniel, car sa terre, les effets conjugués du froid hivernal et des nuits tempérées de l'été, en faisaient un terroir particulier : ils conféraient à ses raisins une qualité exceptionnelle, donnaient du corps au vin et un parfum de noix.
Othniel renonça, et se mit à faire des randonnées dans la région, car il aimait passionnément ce pays, tout comme il adorait prier, marcher et s'isoler. Comme il avait quitté son travail, il se laissa pousser la barbe, les cheveux, et ne porta plus que des habits bleus d'agriculteur. Il traversa des rivières, visita des grottes, grimpa au sommet des collines avoisinantes, puis déboucha sur un terrain vaste et plat, qui n'était ni encombré par les oliviers de Harmish, le village d'à côté, ni trop rocheux. «C'est ici, dit-il, que je délimiterai mes champs.»
Il fit des expériences : concombre et tomate, persil et coriandre, courgette et aubergine, radis et même laitue. Les végétaux s'inclinèrent face au soleil de l'été, et dans le froid de l'hiver, ils se figèrent ; puis ils devinrent les proies des tortues et des rats, jusqu'à ce qu'Othniel décide de s'en tenir à la culture des asperges dans les champs, et à celle des champignons dans la serre - sans oublier bien sûr la roquette, ni les tomates cerises que sa femme Rachel, comme ses deux filles Guitit et Dvora, dégustaient en guise d'amuse-gueules.
Il se tourna vers le Conseil régional afin de diriger sur place une exploitation agricole, d'y faire venir un conteneur avec bureau, hangar, et puisque l'administration militaire exige d'abord que l'échelon politique donne son feu vert, sauf s'il s'agit d'un projet auquel s'applique la loi héritée du mandat britannique, Othniel Assis dit : «Mandataire ? Mais oui, bien sûr, tout ce que vous voudrez, les Juifs», et il obtint les autorisations nécessaires, sans même que l'échelon politique ne l'apprenne.
Revue de presse :
Romancier et traducteur de l'anglais vers l'hébreu (de Salinger, Philip Roth, Jonathan Foer, entre autres), Assaf Gavron, né en 1968, rassemble toutes les caractéristiques de l'écrivain israélien de sa génération. Pacifiste, de gauche, il vient même de déclarer specta-culairement à un journal suédois, comme son collègue Sayed Kashua avant lui, qu'il quittait son pays pour l'Amérique, écoeuré par l'atmosphère d'intolérance qui y règne depuis l'opération " Bordure protectrice " et la margina-lisation de son camp, " hashtagué " comme " gauchiste ". Et pourtant, ce pedigree d'intellectuel tel-avivien, à l'aise dans toutes les métropoles occidentales, ne l'a pas empêché de décrire avec empathie, sinon sympathie, l'univers dans lequel évoluent ses adversaires politiques, celui des colons religieux ayant choisi de vivre dans des localités situées à l'extérieur des frontières antérieures à 1967, au coeur de la Cisjordanie palestinienne que les Israéliens appellent par dérision le " far west ". Car, contrairement à une tendance à l'oeuvre dans la jeune littérature ou le cinéma israélien, Assaf Gavron n'a pas détourné son regard, souvent persifleur, de l'essentiel - à savoir du conflit avec les Palestiniens - pour le fantastique, l'autofiction ou l'intimité. (Nicolas Weill - Le Monde du 11 septembre 2014)
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