Extrait :
Extrait de l'introduction
La mort a toujours inquiété, fasciné, terrorisé l'homme depuis les débuts de l'humanité. Il a cherché sans répit à la repousser, à l'apprivoiser, à la dompter sans toutefois y parvenir ! Il a fini par se raisonner. Ainsi depuis tout petits nous grandissons avec une certaine représentation de la mort qui aurait sa propre logique : on naît, on vit, on vieillit et on meurt. Cependant, parfois cette logique est totalement bouleversée. L'enfant tant attendu, rêvé depuis l'enfance, disparaît avant même d'avoir pu connaître le monde des humains, avant même que sa mère et son père n'aient pu le voir et l'étreindre. Tout au plus, il aura fait une brève apparition sur la scène des hommes au moment de sa naissance ou pendant les quelques jours qui suivent. Et il repartira rapidement dans le royaume des morts ou dans celui des limbes.
Qu'est cette mort-là ? Comment peut-elle s'intégrer dans les conceptions habituelles des parents et de la société ?
Quand un bébé meurt avant même sa venue au monde... Aux yeux de la société, ce non-avènement constitue la plupart du temps «un non-événement». L'enfant n'est pas né : il n'a pas existé. En dépit de la mobilisation croissante des associations de parents endeuillés et de l'engagement des professionnels confrontés à cette problématique, la trop grande indifférence demeure dans notre communauté.
D'ailleurs tout le monde s'accorde-t-il à penser qu'il s'agit d'un deuil ? Il y a quelques années, dans un colloque, j'ai été frappée par la perplexité voire la virulence de certains participants lorsque j'ai abordé ce sujet. Pourtant ils étaient habitués à réfléchir aux grandes questions de l'humanité. Sans doute la pensée ne suffit pas à penser l'impensable de cette mort-là.
Et pourtant cette perte, ce deuil vont engendrer une fracture irréparable dans la vie des couples qui traversent cet événement. Non pas que la vie ne reprenne pas ses droits, non pas que les projets ne refleurissent jamais. Mais rien ne sera plus pareil, même si ces femmes et ces hommes endeuillés développent une créativité psychique surprenante pour continuer à donner du sens à leur existence.
L'ampleur de cette brisure m'est apparue chaque jour plus évidente, plus tangible, comme j'avançais dans ma pratique de psychiatre psychanalyste. D'abord auprès d'adultes puis de jeunes enfants. Et enfin, aux côtés de futurs parents, dans un centre de médecine foetale et de diagnostic anténatal au sein d'une maternité.
Qui étaient-ils, ces adultes, reçus en psychothérapie, à la recherche éperdue d'une existence dans le monde ? Pourquoi vivaient-ils tant dans le seul désir des autres, s'épuisant en innombrables fausses obligations envers autrui ?
En réalité, c'est au sein de leur propre famille qu'ils se cherchaient. Comme s'ils n'y avaient pas de place, de «lieu d'être», de lieu pour être en toute légitimité. Et cela, parce qu'un autre bébé, un bébé mort avant de naître, les avait précédés, avait occupé ce lieu.
Qui donc étaient ces enfants, souffrant de troubles de l'identité, de l'attachement et de fortes angoisses de séparation ? Et certains d'entre eux ne se sentaient-ils pas délaissés au profit d'«un autre», un bébé mort, un absent si présent ?
Cet enfant des ombres, ne leur fallait-il pas à leur tour le supplanter au prix d'une exceptionnelle créativité ? Pour se forger, se créer soi-même. Combien de Salvador Dali, de Vincent Van Gogh, de Camille Claudel et d'innombrables anonymes ont ainsi dû dépasser leurs limites pour exister tout simplement aux yeux des autres ?
Et puis, ces mères ? J'ai rencontré de ces femmes qui s'effondraient de douleur à l'évocation de leur bébé mort, pourtant bien des années auparavant. Avec quelle profusion de détails livraient-elles tout à trac leur drame, comme s'il venait juste de se produire.
L'existence de ce bébé, trop vite escamotée par les professionnels et l'entourage, ne justifiait-elle pas qu'elles en gardent la moindre trace ? Comme un devoir de mémoire ?
Cet enfant qui n'avait pas connu le dehors était resté enclos, enfant du dedans, chair de sa chair, éternel foetus/bébé, porteur de tous les possibles.
Présentation de l'éditeur :
Le berceau est le coeur de la périnatalité. Lorsqu'il est vide, c'est une part essentielle de l'existence qui vacille. Cet enfant, mort avant d'être né, qui n'est plus ni dedans ni dehors, quel est-il ? Un bébé, un foetus, un rien ? Et ces pères et mères sans bébé, qui sont-ils maintenant ? Quelle juste place donner à ce bébé dans la famille, sans détrôner les enfants à venir ni faire de l'ombre à ceux déjà là ? Quel rôle joue l'équipe soignante toujours présente dans ces moments-là ? Comment le psychanalyste va-t-il pouvoir accueillir, soutenir ces parents et les aider à explorer les zones archaïques de leur psychisme reconvoquées par cet événement traumatique ?
L'auteur témoigne dans cet ouvrage de l'étendue insoupçonnée des ravages provoqués par la mort d'un foetus ou d'un tout jeune bébé. Elle y décrit son travail de psychiatre et d'analyste au sein d'une équipe pluridisciplinaire et, en particulier, ses différentes approches thérapeutiques. Ce livre, fruit d'une longue réflexion sans cesse en éveil, montre que la perte d'un foetus ou d'un bébé n'est pas seulement une fin de vie et, qu'avec l'écoute, la patience et l'humanité du psychanalyste, ce drame peut se transmuer en une nouvelle dynamique. Cela ne peut se faire sans un échange vif et constructif avec les équipes toujours présentes. Autant de valeurs qui échappent peut-être à l'air du temps mais qu'il est urgent de maintenir, voire de retrouver.
Marie-José Soubieux est pédopsychiatre et psychanalyste. Elle exerce ses fonctions au Centre de guidance infantile de l'Institut de puériculture de Paris, Centre hospitalier Saint-Anne, créé par le Pr Michel Soulé. Elle a longuement travaillé au Centre de diagnostic prénatal et de médecine foetale créé par le Dr Fernand Daffos et poursuit actuellement son activité en lien avec la Maternité Necker-enfants malades dirigée par le Pr Yves Ville. Elle participe à l'enseignement de nombreux diplômes universitaires de psychopathologie de la périnatalité et organise des formations sur le deuil périnatal dans les maternités et les réseaux de soins. Elle coanime chaque semaine un groupe de mères endeuillées d'un foetus ou d'un très jeune bébé. Elle est également psychanalyste d'adultes.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.