Extrait :
Comment se produit l'analyste ?
Christian Hoffmann
Qui n'est pas surpris du transfert qui institue le psychanalyste à une place inconsciente d'où le travail du transfert se produit ?
À cette question de la production du transfert, Freud a répondu par la vie amoureuse du sujet qui est soumise par des «clichés» à la pulsion. Ainsi, les émois amoureux se partagent entre une partie de la libido tournée vers la réalité et dont le sujet peut disposer et une autre partie de la libido qui ne se satisfait qu'en fantasmes et reste par conséquent dans l'inconscient. Déçu par la réalité, tout sujet cherche un «espoir libidinal» dans une nouvelle rencontre. Il est fort probable que les deux parts de la libido interviennent dans cette recherche. Dès lors, il devient compréhensible que la libido insatisfaite, et par conséquent, en attente, est prête à se porter sur le psychanalyste. C'est ainsi que «le patient intègre le médecin dans l'une des "séries psychiques" qu'il a déjà établies dans son psychisme». Freud apparente ce qu'il appelle un «cliché» (en italique dans le texte) à cette «série psychique» qui conditionne la vie amoureuse et l'amène à la répétition.
En somme, c'est le fantasme qui conditionne le transfert en s'y actualisant. Ce qui veut dire qu'il est présent d'emblée dans le discours de l'analysant(e).
Par ce biais du fantasme, nous pouvons saisir la réponse de Lacan à cette question de la production du transfert. Comme nous le savons, le fantasme met le sujet en relation avec l'objet, un objet qui ne tire son statut que de sa perte même. L'objet perdu de la pulsion se retrouve dans le fantasme au titre de son représentant que Lacan appelle l'objet a. Cet objet a est celui qui résulte, depuis Les trois essais de Freud, du «prélèvement corporel» qui inscrit sa perte dans le narcissisme. Si l'autre vient à cette place du fantasme, comme nous venons de le voir avec Freud, alors cet objet est aussi ce «dont est à faire du psychanalyste».
Pour Lacan, c'est «le psychanalysant (qui) fait le psychanalyste». Ce qui ne résout pas pour autant la question du psychanalyste et de sa formation. Il ajoute d'ailleurs : «Encore faut-il qu'il y ait du psychanalyste.» Qu'est-ce que ça veut dire ? Le livre de Moustapha Safouan, La psychanalyse. Science, thérapie - et cause, nous est d'une grande utilité pour éclairer la question du côté du psychanalyste. Dans la troisième partie de son livre sur «La saga lacanienne», Moustapha Safouan analyse l'échec de la Passe comme relevant de la déception de l'attendu d'un savoir sur le désir de l'analyste, or il s'avère qu'il est impossible de produire un tel savoir. Le sujet peut donner les raisons de son désir de devenir analyste mais sans pouvoir dire ce qu'est le désir de l'analyste qui motive son acte. Sans développer ici l'argumentation de Moustapha Safouan sur ce point, si ce n'est qu'elle repose sur le distinguo entre savoir et vérité, nous retiendrons que, malgré cet échec, «il est certain que l'analyse modifie l'économie libidinale du sujet, de façon à raccorder son désir aux conditions sans lesquelles il ne peut pas fonctionner comme analyste. C'est-à-dire, selon l'expression de Lacan, comme "lieu nettoyé de la jouissance"». Parfois, il faut s'y prendre à plusieurs reprises à travers des tranches d'analyses pour arriver à ce résultat.
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