Extrait :
Extrait de l'introduction
Parcours d'un non-initié
JE N'AI JAMAIS ÉTÉ initié et redoute de l'être. Mon expérience en la matière remonte à 1972. Je terminais mes études d'undergraduate à l'Université de Brandeis (USA), où je poursuivais en dilettante, avouerai-je aujourd'hui, un cursus de philosophie et d'études juives. Pendant les vacances d'été, je m'étais installé avec quatre autres compères que je ne connaissais pas dans une petite maison à Cambridge (Massachusetts), et je me cherchais, comme on disait à l'époque, de façon particulièrement intense : je gérais plus mal que bien un procès intenté contre moi par le gouvernement américain pour avoir refusé de faire le service militaire en pleine guerre du Vietnam ; le jour, je suivais des cours d'initiation à la Kabbale, et la nuit j'étais réceptionniste dans un grand hôpital pour enfants. Un matin, en revenant du travail, je rencontrai un homme de carrure impressionnante vêtu de différentes couches d'amples tissus multicolores. Il me dit appartenir à un groupe de personnes qui cherchaient à se rapprocher de la nature : puisque les lignes droites ne s'y rencontrent guère, m'expliqua-t-il, cette façon de se vêtir, toute en courbes, lui convenait tout particulièrement. Je fus immédiatement captivé par la grâce physique et les propos ésotériques de cet homme et nous nous revîmes à plusieurs reprises. J'eus, peu après, l'occasion moi aussi de goûter aux plaisirs de cette manière à la fois insolite et sensuelle de s'habiller en rejoignant le cercle des Amoureux d'Om (Lovers of Om) dont il était membre. Le soir venu, je m'enveloppais dans une longue cotonnade de couleur ocre et rejoignais les autres adeptes dans un parc où nous exécutions d'interminables danses «soufies» supposées favoriser la méditation et l'élévation spirituelle. En chemin, nous faisions montre d'un prosélytisme enjoué qui visait plus à provoquer les passants qu'à les inciter à adhérer à notre groupe. L'opération consistait à les interpeller par un énergique «Salut l'amoureux» (Hello lover !) ; lorsque celui ou celle à qui l'on s'adressait nous demandait comment on allait, nous avions pour instruction de répondre par un retentissant «C'est la super forme !» (l'm great !). J'étais aux anges. Le seul hic dans cette histoire, c'est que parmi les Amoureux d'Om j'étais le seul Blanc : tous les autres étaient noirs. Je me souviens encore avec acuité des sentiments mêlés d'excitation et d'intimidation que me procurait cette position d'exception. Toutefois, la situation ne dura pas car, assez rapidement, d'autres Blancs se joignirent à nous jusqu'à ce qu'à ce nous fussions devenus une quarantaine à nous exhiber dans la rue en pratiquant nos danses spectaculaires. Vers la fin de l'été, les responsables du groupe me firent savoir que je pouvais devenir un membre à part entière des Amoureux d'Om en me soumettant à un rituel d'initiation qui consistait - c'est l'unique information qui m'ait été alors fournie - à faire l'amour avec une des femmes du groupe devant l'assemblée des membres. Moins confiant en ma sexualité que j'aurais voulu l'être, affolé par la position de vulnérabilité dans laquelle une telle mise en scène m'aurait placé et redoutant l'engagement qu'elle impliquait, je pris peur. À la fois humilié et soulagé de n'avoir pas été à la hauteur de mes désirs, je faussai compagnie à mes nouveaux amis pour poursuivre mes «recherches» ailleurs. J'ignore toujours si cette séance d'amour en public était réellement pratiquée ou si, plus vraisemblablement, il s'agissait d'une menace destinée à tester la résolution des nouveaux entrants.
Présentation de l'éditeur :
Le processus initiatique et les relations de secret et de violence qui en constituent l'armature récurrente, servent ici de point de départ pour une réflexion générale sur le rituel. Rites d'initiation masculine en Afrique et ailleurs, cérémonies établissant un contact intime et douloureux avec le terroir d'origine, bizutage scolaire et célébrations des premières menstruations dans l'Occident contemporain, sont autant d'illustrations et de mises à l'épreuve d'une approche relationnelle du rituel.
Cette approche, à la fois perspective théorique et méthode d'analyse, privilégie les logiques interactives qui, au cours des rites, fournissent aux participants des expériences originales à partir desquelles ils accèdent à un nouveau point de vue sur les relations qui composent leur monde social. En envisageant le rituel «en lui-même et pour lui-même» (Lévi-Strauss), cet ouvrage vise avant tout à rendre compte des principes d'organisation qui le sous-tendent tout comme de l'efficacité qui lui est propre.
Collection dirigée par Alain Ballabriga et Djallal Heuzé
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