Extrait :
Extrait de l'avant-propos de Michel Viegnes
CET OBSCUR OBJET...
La peur a mauvaise réputation. On entend presque quotidiennement des responsables politiques ou des intellectuels parler de cette émotion avec agacement ou mépris. Ce serait, à les entendre, une faiblesse honteuse, qu'exploitent sans vergogne les démagogues et les charlatans de tout poil. Les peurs individuelles proviendraient d'un développement psychologique et intellectuel incomplet, suite auquel des adultes modernes porteraient en eux des vestiges infantiles ou primitifs. Quant aux peurs collectives, elles ne seraient dans la plupart des cas que paranoïa, crédulité ou crispation identitaire, et seraient à l'origine de toutes les gangrènes sociales : xénophobie, racisme, exclusion, obsession sécuritaire, etc.
À l'évidence, ces jugements peuvent être valides ; l'histoire nous donne d'ailleurs maintes preuves de l'inanité de certaines peurs collectives, récupérées par des dirigeants cyniques ou déments. Il est également vrai que devenir adulte, pour l'individu, est un véritable parcours initiatique qui comporte entre autres la confrontation victorieuse avec un certain nombre de peurs infantiles. D'ailleurs, dans la plupart des sociétés traditionnelles ou tribales, l'accès au monde des adultes passait par une épreuve de courage, à laquelle le jeune membre - en général masculin - ne pouvait se soustraire. La peur, c'est l'ennemi intime qui, sous couleur de nous avertir d'un danger, nous retranche de la vie et de sa plénitude. Deux dirigeants prestigieux du siècle passé l'ont proclamé, l'un sous la forme d'un brillant paradoxe : There is nothing to fear but fear itself, l'autre sur le ton d'une injonction paternelle : Non abbiate paura. Le premier est crédité d'une victoire sur la pire crise économique du siècle et d'un leadership décisif dans le deuxième conflit mondial ; on reconnaît au second une contribution équivalente à la victoire sur un autre totalitarisme, qui a abouti à la chute du mur de Berlin.
Nous remercions le Conseil de l'Université de Fribourg pour son soutien, et Jean Rime pour son aide précieuse dans la préparation du manuscrit.
Présentation de l'éditeur :
La peur a bien mauvaise réputation. Collective, elle serait à 1 origine de nombreuses dérives - racisme, xénophobie, délires paranoïaques et obsessions sécuritaires. Individuelle, la voici dénoncée comme un symptôme d'immaturité et réduite à une faiblesse honteuse. Pourtant, souvent fondée, n'est-elle pas aussi bonne conseillère et, en ce sens, proche d'une certaine sagesse ?
Dans cet ouvrage, historiens, psychologues, anthropologues, et spécialistes de littérature, de cinéma et de musique, analysent la peur, ses manifestations et ses représentations. Peurs infantiles ou pathologiques, mais aussi crainte de Dieu ou hantise du monde de demain...
Ainsi se trouve revisitée, sous divers points de vue, cette expérience mal vécue et communément partagée, que Lovecraft considérait comme l'«émotion la plus forte et la plus ancienne de l'humanité».
Michel Viegnes est professeur de littérature française et comparée à l'Université de Fribourg (Suisse). Il a publié plusieurs ouvrages sur l'imaginaire et le fantastique, et a dirigé, aux Editions Imago, Imaginaires du vent (2003) et Imaginaires des points cardinaux (2005).
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