Extrait :
C'était le printemps sur Bruxelles. Du soleil sur les boulevards, un petit vent tiède et sucré le long des trottoirs, un immense ciel bleu par-dessus les toits. La journée idéale pour traverser la ville à pied ou pour revenir du GB des sachets plein les mains.
- Tu y crois, toi, à la chance ?
Toni m'avait posé la question comme on pose une bombe, juste à l'entrée de la gare en pleine heure de pointe. Il faisait chaud, la lumière s'étendait sur les carrosseries et les bancs de bois brun. J'avais les deux bras chargés de sachets en plastique bruyant.
- Tu y crois, toi, à la chance ? qu'il m'avait dit.
Que voulais-tu que je réponde aussi sec, sans trop réfléchir, tandis que la charge entravait la circulation du sang dans mes doigts. D'habitude, avant dix heures du matin, on se contente de banalités. Fait beau, fait chaud, fait malade. On s'envoie des Ça va ? Ça va. Des T'as vu le film hier ? Rien que des petits mots inutiles mais pratiques. Quand on n'est pas bien réveillé, on peut se contenter de hocher la tête, de grogner un léger hrrrrhhhmm, de l'arrière du palais, qui dit tout, qui ne dit rien. On peut laisser le silence répondre à son aise pendant qu'on rampe vers le percolateur. Par contre quand on te pose des questions embarrassantes, du genre de celle-là, avec la chance et tout ça, il faudrait deux cafés coup sur coup pour trouver l'énergie en quantité suffisante pour pondre ne fût-ce qu'une réponse. On est déjà fatigué avant même de commencer à répondre. On se sent épuisé, on voudrait partir en courant et se perdre dans des petites rues étroites, en ne pensant à rien sauf aux pieds qui battent le pavé, mais il est là, juste à côté de toi, le Toni, et le temps n'a pas passé du tout, il vient juste de la poser sa satanée question, il sourit, il te regarde, ses yeux sont bien en face des trous, bleus comme un jeans, sous un front gras et luisant, il s'en fout, il est du genre à se foutre de tout, il ne comprend jamais ce qui se dit autour de lui, il rumine et, quand il parle, on aurait souvent préféré qu'il se taise. On en connaît tous des types comme ça, des Toni, des interrogateurs de lieux communs, des mecs insupportables qui veulent parler du coeur quand tout le monde se marre, qui veulent sonder ta conscience quand tu goûtes le dessert, ou qui te posent les questions les plus vagues au moment où tu as juste envie d'un peu de train-train bien concret. Comme ce matin-là, par exemple.
Présentation de l'éditeur :
Dans les bas quartiers de Bruxelles où le sommeil se marchande, il y a ce vieil immeuble. Les deux derniers niveaux, insalubres, ont été condamnés. Ce qui fait du quatrième étage (sans ascenseur), le véritable sommet de ce taudis. Marie, malade, est alitée. Thomas, son mari, tâche de lui cacher les alentours, l'enfer urbain où la vie se troque. Ils ne sont plus du tout jeunes. Ils sont amoureux. Dans les bas quartiers de Bruxelles où le sommeil se marchande, il y a Serge. Qui, un jour de chance, a pris le vieil escalier. Et qui, au quatrième étage, s'est arrêté.
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