Extrait :
Extrait de l'avant-propos
Le changement n'est plus ce qu'il était
Je suis né à Paris le 30 juin 1949. Ce qui signifie que j'ai grandi et passé une partie de ma vie d'adulte, personnelle et professionnelle, dans une France bien différente de celle que nous habitons aujourd'hui. Dans cette France de naguère, on croyait à la politique. Dans cette France d'autrefois, l'histoire devait déjà répondre de ses crimes, mais elle semblait encore porteuse de sens.
En mai 68, je terminais mon année de khâgne au lycée Henri-IV. Je m'étais mis au vert, dans un village de Sologne, pour préparer, avec un ami, le concours d'entrée à l'École normale supérieure. Nous révisions le jour, je paniquais la nuit, le monde n'existait plus, il n'y avait de place dans ma vie que pour cette échéance. J'ai donc été pris au dépourvu par ce qu'on a appelé tout de suite les événements : ils ont déboulé sans préavis. Malgré mon voeu de ne pas me laisser distraire, je les ai d'abord suivis l'oreille collée à un transistor. Mais très vite, cette passivité m'a pesé. Je n'ai pas voulu, je n'ai pas pu rester en plan et continuer de faire tapisserie dans un hôtel coquet et tranquille, à la campagne.
Revenu à Paris après les premiers heurts entre les étudiants et la police, j'ai pleinement vécu ce moment de grâce, cette interruption sabbatique de la vie courante où les gens ne se croisaient plus mais s'écoutaient et se disputaient la parole. Avec la participation de chacun et à la stupeur générale, la fourmilière était devenue une agora. Rien n'échappait à la critique, on se grisait de tout repenser, de tout reprendre, de tout refaire. Et cela dehors, à ciel ouvert, dans une ville soudain libérée de la tyrannie des transports : les rues n'étaient plus abaissées au rang de voies de passage, les voitures cédaient le terrain, le verbe emplissait l'espace. Un verbe, il est vrai, très codé : moi qui n'avais jamais milité, je me suis découvert, comme la plupart de mes interlocuteurs, une surprenante facilité à apprendre et à parler l'idiome révolutionnaire. J'ai chanté «Bella Ciao», en manifestant boulevard Saint- Michel, j'ai rédigé des affiches, j'ai perdu ma voix dans les assemblées générales et, avec d'autres khâgneux, ensorcelés par le slogan «Soyez réalistes, demandez l'impossible !», j'ai exigé le report du concours au mois de septembre. Nous avons obtenu gain de cause. Avec l'été a sonné l'heure de la dispersion, nous nous sommes égaillés dans la nature, nous avons passé des vacances inquiètes et studieuses : l'histoire redevenait une matière, le latin reprenait ses droits. Je me suis, pour ma part, plongé dans mes fiches, j'ai bachoté, j'ai concouru, j'ai échoué et j'ai intégré l'année suivante l'École normale supérieure de Saint-Cloud, installée aujourd'hui à Lyon. Mais je n'en avais pas fini avec la passion politique.
Il y a eu les années gauchistes de la déconstruction des valeurs héritées, de la remise en cause de toutes les modalités du Pouvoir et de l'aspiration à un changement radical du monde. Puis est venu le tournant antitotalitaire. Sous l'effet du combat mené par les dissidents dans ce qui était alors «l'autre Europe», les contestataires que nous étions se sont réconciliés avec le suffrage universel aussi et avec les droits de l'homme. (...)
Revue de presse :
Malheureux que le thème de l'identité ait été capté par l'extrême droite, il juge urgent de poser une nouvelle fois les questions qui le hantent. Que faire de ce que nous sommes ? Sommes-nous capables d'hériter et de transmettre ? Et que répondre à ceux qui nous demandent de passer à autre chose ?...
Tout au long de ce voyage en «identité malheureuse», Alain Finkielkraut entend faire la preuve qu'«on peut éviter le politiquement correct sans tomber dans le politiquement abject» - l'enfer identitaire, nationaliste, raciste, qui conduit à Auschwitz. Face à l'hubris des révolutionnaires de tout poil et à ce qu'il nomme «la guerre des respects», il en appelle à l'aidos, «cette restriction de l'estime de soi», cette modestie qui devrait fonder le «vivre-ensemble». On en est loin... (Vincent Remy - Télérama du 16 octobre 2013)
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