Extrait :
D'habitude, lorsque je fonce tête baissée, j'arrive à passer le square de la 81e Ouest. Je commence à me préparer dans l'ascenseur, les yeux rivés sur la longue flèche en cuivre pointée sur le septième étage, puis le sixième, cinquième, quatrième. Il arrive que l'ascenseur s'arrête et que l'un de mes voisins entre ; alors je suis bien obligée de laisser ma carapace de solitude se fendiller et de feindre la civilité. S'il s'agit d'un jeune - du guitariste rouquin coupé en brosse qui pèle du visage par exemple, ou du cadre de l'industrie du cinéma vêtu d'un jean froissé et d'un manteau en cuir taché de beurre -, un salut de la tête suffit. Les plus âgés demandent plus d'efforts. Les femmes aux cheveux argentés qui portent des robes bohémiennes sophistiquées dont les volants violets dépassent de leurs capes en laine noire, exigent un commentaire sur la météo, sur la marque d'usure apparue sur le tapis oriental du couloir, ou sur la une de la rubrique «arts». Ça m'est presque insupportable. Ne voient-elles pas que je suis occupée ? Ne se rendent-elles pas compte que l'autocompassion est une activité qui vous pompe toute votre énergie et ne laisse aucune place à la conversation ? Ne savent-elles pas que l'entrée du parc se trouve à deux pas du jardin d'enfants de la 81e Rue, et que si je ne me prépare pas bien, si je ne me vide pas l'esprit, si je ne ferme pas mes oreilles aux bruits autres que ma propre respiration, il est possible, et même probable, qu'au lieu de longer le jardin d'enfants d'un pas vif, je m'écroule devant sa grille et laisse les voix stridentes des enfants résonner dans mon crâne ? Ne comprennent-elles pas, ces dames avec leurs pétitions, feu-leurs-époux-banquiers et leurs porte-monnaie Vuitton, que si je les autorise à me distraire avec leurs histoires de républicains voleurs d'élections et de Mme Katz, du 2B, qui aurait surpris Anthony, le nouveau portier, en train de dormir derrière le bureau de la réception, mardi soir, je n'arriverai pas à dépasser le square pour me réfugier dans le parc, juste derrière.
Présentation de l'éditeur :
Épouser un homme déjà père est une chose, mais s'occuper de son fils âgé de cinq ans tous les mercredis en est une autre... En tombant amoureuse de Jack, Emilia pensait pouvoir aimer William, le fils de ce dernier. Mais elle est exaspérée par ce petit garçon précoce et je-sais-tout, qui prend un malin plaisir à corriger sa prononciation à chaque mot, à calculer sa masse corporelle dès qu'elle goûte un gâteau. D'ailleurs, pourquoi faudrait-il aimer ses beaux-enfants ? Emilia se débat avec ses états d'âme lorsque le drame survient : le bébé qu'elle vient de mettre au monde meurt subitement. La vue du moindre enfant la fait fondre en larmes, et les mercredis au parc avec William l'anéantissent. Pourtant, c'est grâce à lui qu'elle reviendra à la vie...
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