Extrait :
UN MOT DE L'AUTEUR
Après avoir relu les essais rassemblés dans ce volume, j'ai compris que, quelle que soit la diversité de leurs sujets, ils ont en commun leur curiosité constante à l'égard de ce qu'être humain signifie. Comment voyons-nous, nous souvenons-nous, comment ressentons-nous autrui et comment communiquons-nous avec lui ? Que signifient dormir, rêver et parler ? Lorsque nous utilisons le mot moi, de quoi parlons-nous ? Chaque époque a eu ses propres platitudes, truismes, sagesse populaire et dogmes en tout genre, censés répondre à ces questions. La nôtre n'est pas différente. A vrai dire, nous nous noyons dans les réponses. Des simplistes manuels de développement personnel en vente dans toutes les librairies ou des méthodes de "reprise-en-main-à-la-portée-de-tous" prodiguées par des thérapeutes médiatiques, aux analyses plus complexes proposées par la sociobiologie évolutionniste, de la philosophie analytique européenne et de la psychiatrie aux neurosciences, les théories abondent dans notre culture. Il importe néanmoins de se souvenir que, en dépit de ces explications pléthoriques, la question de ce que nous sommes ex. de la manière dont nous le sommes devenus demeure ouverte, non seulement sur le plan des sciences humaines mais également sur le plan purement scientifique.
Rédigés sur une durée de six années, les essais ici rassemblés sont le reflet de mon désir de recourir aux lumières de plusieurs disciplines dans la simple mesure où j'ai acquis la conviction qu'aucun modèle théorique ne peut contenir la complexité de la réalité humaine. Le lecteur y trouvera des références à la philosophie, aux neurosciences, à la psychologie, à la psychanalyse, à la neurologie et à la littérature. Quelques penseurs y font des apparitions répétées : Edmund Husserl, Maurice Merleau-Ponty, Martin Buber, Sigmund Freud, D. W. Winnicott, A. R. Louria, Mary Douglas et Lev Vygotsky. Les découvertes de la recherche en neurosciences parcourent le livre entier, en particulier les travaux réalisés dans le domaine de la perception, de la mémoire, des émotions et de la relation du "moi" à autrui.
Je suis profondément attachée à l'usage, dans mon travail, d'un langage courant. Les jargons ésotériques ne résultent pourtant pas d'un quelconque snobisme de la part des initiés. Les vocabulaires spécialisés rendent possibles certaines conversations parce que les interlocuteurs ont affiné leurs définitions et peuvent donc les partager et les utiliser dans leur travail. Le problème, c'est que le cercle des intéressés est fermé sur lui-même et que l'expertise dans tel domaine reste inaccessible aux spécialistes de tel autre, sans parler des profanes qui n'y comprennent rien. Je crois que, au moins dans une certaine mesure, un dialogue authentique est possible d'une discipline à une autre, et que des propos distincts peuvent être unifiés par une exposition claire des idées. Quoi qu'il en soit, il convient de rappeler que ces essais ont, à l'origine, paru dans un vaste éventail de publications, allant de revues littéraires telles que Granta, Conjunctions, Salmagundi et The Yak Review, ou de journaux et magazines tels que le Guardian de Londres, le New York Times et Le Nouvel Observateur en France à des publications plus spécialisées, dont Contemporary Psychoanalysis et la revue Neuropsychoanalysis, éditée sous l'autorité de spécialistes. Certains des articles comportent donc abondance de notes tandis que d'autres en sont dépourvus. D'aucuns étaient à l'origine les textes de conférences. L'essai sur Morandi faisait partie d'une série de conférences au Metropolitan Muséum, les "Sunday Lectures at the Met". "Pourquoi Goya ?" a été prononcé au Prado. "Visions incarnées : que signifie regarder une oeuvre d'art ?" le fut lors de la troisième conférence annuelle Schelling à l'académie des Beaux-Arts de Munich, et "L'aire de jeu de Freud" à l'occasion de la trente-neuvième conférence annuelle Sigmund Freud, en mai 2011. Tantôt, il m'était possible de compter, chez les membres de mes auditoires, sur certains types de connaissances, tantôt non. Néanmoins, chacun des textes de ce recueil est un essai - au sens du verbe français essayer- et tous sont rédigés à la première personne.
Présentation de l'éditeur :
Dans ces essais écrits entre 2006 et 2011, la célèbre romancière Siri Hustvedt, après avoir pris pour sujet d'étude le matériau autobiographique («Vivre»), examine les complexes fonctionnements de l'esprit, de la mémoire, des émotions et de l'imaginaire chez l'être humain («Penser») et explicite le rapport qui est le sien à la création visuelle dans tous ses états («Regarder»). Authentique somme intellectuelle retraçant le parcours de son auteur, l'ouvrage pose des questions essentielles quant à la manière dont tout individu se constitue en tant que tel, élabore, à travers la pensée, la mémoire, le langage, son problématique «être-au-monde» et interagit avec autrui. Dans le souci de réinventer le dialogue trop souvent malaisé entre les «humanités» et les sciences, Siri Hustvedt convoque de multiples disciplines - de la psychologie aux neurosciences en passant par la philosophie, l'art et la littérature - pour en tenter l'ambitieuse synthèse et, ce faisant, dévoile les arcanes de sa vocation et de sa pratique d'écrivain.
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