Extrait :
NIAM M'PAYA
Voici un livre essentiel au Noir, à sa prise de conscience, à sa soif de se situer par rapport à l'Europe. Il doit être aussi le livre de chevet de tous ceux qui se préoccupent de comprendre l'Africain et d'engager un dialogue vivant avec lui.
Pour moi, ce petit livre est le plus important de ceux que j'ai lus sur l'Afrique : c'est que mes préoccupations me poussaient à l'espérer. Comme elles m'ont poussé à souhaiter que Jean-Paul SARTRE mît son remarquable talent et sa rare indépendance morale à projeter les éclairs de son esprit lumineux, subtil et agile, sur les méandres encore imprécis de notre ténébreux destin.
Deux études capitales pour le monde noir. L'une contribue à révéler l'âme du nègre authentique inséré dans son vivifiant milieu naturel. L'autre dévoile le sens actuel de l'aventure du nègre dans le maquis européen.
Nous parlerons ailleurs d'«Orphée Noir», comme d'un événement important, du premier qui marque l'entrée du Noir, comme présence active, dans la Cité à rebâtir pour tous.
Nous remercions le R. P. Tempels de nous avoir donné ce livre, témoignage pour nous de l'humilité, de la sensibilité et de la probité qui ont dû marquer ses rapports avec les Noirs.
Merci également à «Louante» de nous en avoir permis l'édition en France.
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Qu'y a-t-il donc de plus saisissant que le spectacle de la détresse : un être abandonné, dépouillé de toutes les garanties sociales, réduit à sa propre liberté nue, à son impuissance originelle et livré à la terreur du Destin ?
L'authentique grandeur qui se dégage d'un tel spectacle ne caractérise cependant pas la misère en Europe.
La misère ici n'inspire que la pitié. Mais une molle et fade pitié. Une pitié qui s'évanouit vite, sitôt surgie ; inconsistante, comme si elle avait honte d'elle-même. L'homme devant la misère semble craindre, pour sa sensibilité énervée, un écoeurement ou une ivresse de petite nature ; tel le fragile RILKE redoutait que la Musique de Beethoven ne détournât son âme d'une vocation découverte au prix de pénibles et ferventes incantations. Mais RILKE savait avoir pitié...
La misère, elle, subtile, ondoyante, s'épand partout, inonde tout, imbibe, informe les consciences et les choses, et finit par revêtir l'apparence d'une étrange beauté dont se consolent certaines âmes.
Misère de tous en général : l'homme, inquiet, crée et recrée sans cesse pour accroître et préciser sa puissance, pour sauver et éclairer sa liberté au contact de celle des autres. Mais il n'arrive pas à toujours accroître, hélas (et c'est une source sans doute du déséquilibre) sa force morale en même temps que sa puissance matérielle. Il est stupéfiant, par exemple, de voir jusqu'où peut aller la crédulité de l'Européen moyen, ce qui alimente sa foi désarmée (et quasi désespérée) en ces ersatz spirituels que sont des valeurs éminemment changeantes comme la toode.
La misère est flagrante jusqu'au tragique pur, dans ce taudis où manquent l'air et la lumière. C'est une misère qui s'ignore, qui n'arme la conscience que d'amers et impuissants réflexes, de rêves débiles et déshumanisés.
Présentation de l'éditeur :
Voici aujourd'hui un livre important, tout simplement. Il a marqué le commencement de la philosophie africaine comme une discipline académique à présent enseignée dans les meilleurs départements de philosophie des universités, c'est-à-dire ceux où l'on a souci de mettre en question l'idée reçue de la philosophie comme l'histoire d'un esprit singulier, unique, et dont la géographie se confondrait tout naturellement avec celle de l'Europe, grecque, latine, chrétienne, moderne et finalement contemporaine. De la philosophie africaine et de ses modes propres d'existence le présent livre a posé la question, au sortir de la seconde guerre mondiale, quand les décolonisations s'annonçaient dans les craquements d'un impérialisme qui ne pouvait désormais plus être assuré de lui-même. (Nouvelle préface de Souleymane Bachir Diagne)
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