Extrait :
UN APOCRYPHE DE PASCAL ?
Pour commencer on dira que ce Discours sur les Passions de l'amour est seulement attribué à Pascal. Il s'agit au vrai d'un texte controversé - probablement d'un faux, à l'instar mettons, plus près de nous, en 1949, de La Chasse spirituelle qu'on publia tapageusement pour être de Rimbaud, ce que dénonça vertement le pamphlet d'André Breton, intitulé Flagrant délit. Une telle oeuvre n'est pas sans compter ses thuriféraires, surtout au XIXe siècle, elle compte aussi ses détracteurs qui semblent aujourd'hui emporter la palme. Une monographie de Georges Brunet, Un prétendu traité de Pascal, qui, en 1959 lui est consacrée, ne cache pas, dès son titre, qu'elle a choisi son camp. Au demeurant le débat n'est-il ni épuisé ni sans doute épuisable, et la dispute n'est-elle pas sans se déplacer, comme il sera loisible de s'en convaincre, de l'authenticité ou non d'une telle oeuvre à l'intérêt qu'elle ne laisse pas en elle-même de présenter. Mais d'abord, il importe de remarquer, au seuil de cette préface, que le Discours en question comble un vide dans l'évolution pascalienne. Il renvoie logiquement, en effet, à la brève période mondaine d'octobre 1651 à novembre 1654 qui, en l'occurrence, fait charnière. Avant elle, prend place une brillante période scientifique qui va de l'Essai pour les coniques de 1640, lequel étonna Descartes (d'autant que l'auteur allait seulement sur ses dix-sept ans) jusqu'aux Traités de l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse d'air, relevant de l'expérience du Puy de Dôme de 1648, et dont la publication fut posthume, en passant par les Traités relatifs à la cycloïde qui permirent à Leibniz d'aboutir à la conception précise de la différentielle, et même de découvrir les premières formules du calcul infinitésimal. Après cette période scientifique, arrive donc la période mondaine, à laquelle succède, on sait, la période religieuse, marquée par les Lettres écrites à un Provincial, à partir de janvier 1656, et surtout par la mise en chantier de Y Apologie de la Religion chrétienne qui donna lieu, dans la première édition de Port Royal, en 1670, huit ans après la mort de leur auteur, à la publication de ce qu'on nomme les Pensées. Il est certain que ce découpage en trois périodes, encore qu'il présente une indéniable commodité de lecture, a un caractère assez formel. Ainsi, selon un témoignage de Gilberte Périer recueilli dans sa Vie de Monsieur Pascal (qui paraît à Amsterdam en 1684), ce serait pour oublier d'insupportables maux de dents qui l'empêchaient de dormir que son frère Blaise aurait repris en 1657, en au-delà de la période mondaine, ses recherches mathématiques. En proie aux souffrances physiques, dans le silence de la nuit, il aurait trouvé le principe de solution de plusieurs problèmes, que personne jusqu'ici n'avait pu résoudre. Ces problèmes concernaient la courbe appelée «cycloïde» ou «roulette» qui avait, depuis Galilée jusqu'à Fermât et Descartes, fort préoccupé les mathématiciens. Mais pour autant Pascal n'écrivait rien de cette découverte, ne voulant pas distraire son attention de son ouvrage sur la religion. C'est le duc de Roannez, connu et fréquenté lors justement de la période mondaine, qui lui fit remarquer que Dieu lui avait peut-être ainsi procuré le moyen de donner plus de force à l'ouvrage qu'il méditait contre les athées et les libertins parce que, selon lui, en leur prouvant qu'il n'avait rien perdu du feu de son esprit, il leur ôterait l'objection ordinaire qu'ils font aux preuves de la religion, qui est de dire qu'il n'y a que les esprits faibles et crédules qui admettent les preuves soutenant la vérité de la Religion chrétienne. Ce fut seulement alors qu'il écrivit et publia en dix-huit jours de temps ses découvertes.
Présentation de l'éditeur :
Attribué à Pascal, le Discours sur les Passions de l'amour traite essentiellement de l'amour-passion, conçu à la fois comme une émanation et un dépassement de la raison, ce qui n'est pas sans recouper maints Fragments des Pensées. Il est présenté ici sous la forme de huit chapitres suivis, rendant ainsi justice au terme de «discours» inscrit dans son titre. Abordant l'épineuse question de la provenance d'un tel texte - qu'on considère, aujourd'hui, plutôt comme un apocryphe - la Préface, non moins que les Notes, en viennent à étudier ce Discours aussi bien dans son intertexte : les Pensées de Pascal, Les Passions de l'âme de Descartes, une brochure pirate intitulée L'amour de Jacques Lacan - que dans sa postérité : les Lettres de Julie de Lespinasse, De l'amour de Stendhal, Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes.
Le préfacier, Jean-Pierre Gaxie, qui a aussi établi celle édition, a fait paraître récemment deux ouvrages sur Franz Kafka : L'Egypte de Franz Kafka (Maurice Nadeau, 2002) et Kafka prince de l'identité (Joseph K., 2005).
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