Présentation de l'éditeur :
ANASTYLOSE ou ANASTILLOSE n.f. (du gr. anastellein, remonter). Reconstruction d'un édifice ruiné, exécutée, en majeure partie, avec les éléments retrouvés sur place et selon les principes architecturaux en vigueur lors de son érection, sans négliger in Grand Larousse en cinq volumes une éventuelle consolidation visible avec des matériaux modernes.
ON A VOULU CONSTRUIRE UN LIEU. On, c'est-à-dire AUGUSTE, qui alla jusqu'à mettre son corps (cadavre) dans l'affaire. Un lieu qui aura été un symbole (un objet coupé en deux dit l'étymologie du mot grec, et dont le rassemblement seul fera signe). Le symbole ajointait la course du Soleil dans le ciel romain et la paix de l'Empire (indexée au corps mort d'AUGUSTE gisant dans son mausolée et au trône vide de l'Ara Pacis que l'ombre pointait à midi le jour de l'équinoxe d'automne), cet ajointement démesuré, le lieu en question, était un cadran solaire dont le tracé en hyperbole couvrait une partie du Champs de Mars et dont le style était un obélisque de granit rose de vingt-deux mètres de hauteur. Mais ce lieu était aussi un morceau de la Rome réelle et celle-ci le dispersa en à peine plus de temps qu'il n'en avait fallu pour en joindre les parties. Les crues du Tibre le recouvrirent, le détruisirent, le démembrèrent. Il eut, de tous les lieux de la Rome antique, la vie la plus courte qui fût.
Nous faisons l'inventaire d'un morceau d'espace. Nous dénombrons, nommons, classifions, datons son mobilier. Une église, des immeubles d'habitation, des magasins de vêtement, une place, quelques cafés - dont un affiche une reproduction à l'échelle 1 du fragment mis à jour par BÜCHNER -, un kiosque à journaux, et tout ce qu'on ne voit plus, qui fut et qui n'est plus, ou bien qui est encore mais trente pieds sous le sol asphalté ; inventaire du réel, du possible, du passé, de l'avenir, du fictif. Ce morceau d'espace comprend la via in Lucina, une portion de la via di Campo Marzio, une partie de l'église San Lorenzo m Lucina et quelques mètres des deux rues adjacentes à la via di Campo Marzio avant qu'elle ne débouche sur la piazza San Lorenzo in Lucina. Nous faisons l'inventaire des mots qu'on a écrit sur ce morceau d'espace, très peu (exactement 154) par celui qui, ayant vu le lieu, le décrivit - PLINE L'ANCIEN, mort d'avoir voulu voir de trop près le Vésuve crachant ses cendres - et beaucoup par ceux qui, ne l'ayant pas vu, commentèrent ses mots, reconstruisirent le lieu d'après ces mots, produisirent ainsi à peu près autant de lieux qu'il y a de mots dans le texte de PLINE.
Extrait :
Ils marchent. Les uns derrière les autres. Certains ont le bras le long du corps. D'autres ont la main agrippée à leur toge. Leurs visages sont sévères. Leurs têtes sont ornées de couronnes de laurier. Des enfants les accompagnent, glissés dans les plis de leur vêtement. Ils marchent. On ne sait où ils vont. La plupart sont de profil, la tête légèrement penchée vers le sol. D'autres viennent de s'arrêter, les pieds en angle droit, le visage de face ou tourné vers l'arrière, la main parfois posée sur une tête d'enfant. Combien sont-ils ? Quarante, cinquante, peut-être plus. On devine d'autres visages derrière les visages et derrière encore des silhouettes aux contours incertains. Tous passent. Leurs corps sont revêtus de longs draps plissés derrière lesquels on devine parfois des tuniques. Certains en ont recouvert leur tête. Ils marchent. Leurs visages sont sans expression. Leurs pieds sont chaussés de sandales de cuir. Celui-ci tient dans sa main un rameau d'olivier. Celui-là tient contre sa poitrine une boîte de métal sculptée, il regarde en arrière, semble attendre ceux qu'il précède. Trois enfants portent en collier des médaillons qui pendent sur leur poitrine. Ils marchent. Deux hommes se parlent, le premier a levé la main, l'autre le regarde, il s'est retourné pour lui faire face, son front est ridé, les feuilles de laurier se mêlent à ses cheveux. Ils marchent parce qu'il le faut. D'autres corps entreront et sortiront, passeront comme eux devant nos yeux. Il y a quelques femmes. Deux d'entre elles n'ont pas de laurier sur le front. Des voiles couvrent leurs têtes. Les seins des femmes font des saillies dans leurs vêtements. Leurs robes descendent jusqu'à terre, couvrent leurs pieds. Un homme est au milieu d'elles, un enfant tient le pli qui descend de son épaule. Une femme s'est retournée vers lui. Une autre le regarde de derrière. Il a le bras relevé sur sa poitrine, sa main tient un pan de sa toge. Ils se regardent sans rien dire. Derrière eux, entre leur tête, une femme nous fait face. Un voile dessine un ovale autour de son visage. Son regard croise le leur, porte au-delà d'eux. Elle a posé un doigt sur ses lèvres. Leur demande-t-elle de se taire ? Nous demande-t-elle de rester silencieux ? Ils marchent. Leurs jambes sont fléchies. Leurs corps sont en mouvement. Pourtant tout est suspendu. Ils passent. Mais ce passage est comme arrêté. Un homme porte une hache sur son épaule. D'autres tiennent des faisceaux dans leurs mains. Ils marchent. À certaines coiffes étranges, on croit reconnaître des prêtres.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.