Extrait :
Extrait de la préface de Benjamin Stora
Donner à voir une guerre sans nom
La guerre d'Algérie a longtemps été nommée en France par une périphrase - «les événements d'Algérie» - tandis que, de l'autre côté de la Méditerranée, les Algériens construisaient leur mémoire antagoniste de «la guerre d'indépendance». Cinquante ans après, l'Histoire est encore un champ de bataille. La séparation de l'Algérie et de la France, au terme d'un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d'oublis. Les mémoires sont composites : nostalgie langoureuse du pays où «la mer est allée avec le soleil», Atlantide engloutie de l'Algérie française, hontes enfouies de combats qui tous ne furent pas honorables, images d'une jeunesse perdue et d'une terre natale à laquelle on a été arraché.
Quelquefois d'une image, d'un son, d'un mot jaillit la vérité de l'un de ces jeunes français - un million et demi - qui ont été envoyés pour combattre en Algérie, entre 1954 et 1962 ou de ces familles de «pieds-noirs» soudées par tant de souvenirs accumulés ou encore d'un nationaliste algérien qui a trop longtemps attendu l'indépendance...
Je me rappelle avoir été bouleversé par une image : l'enterrement d'un jeune soldat du contingent dans le beau fil d'André Téchiné, Les Roseaux Sauvages. Le film commence dans un petit village, en plein soleil, par les funérailles d'un jeune homme qui avait tout fait pour ne pas partir en Algérie. Le cortège progresse lentement. Du silence remonte des bribes de sensations, une colère étouffée, des images de bonheur, des moments vécus. En amont de ces obsèques, quelques mois auparavant, le mariage du jeune soldat avait amené les mêmes invités. Il y a une étape en plus de vie dans un coin de la France, et un personnage en moins. Est-ce le mouvement du cortège, le martèlement des pieds sur la route, les regroupements de participants qui se font et se défont, la lente avancée qui rythme le cortège, avec flux et reflux des souvenirs ? L'enterrement montré dans ce film, est révélateur des années 1950 de la «solitude» de cette guerre, qui ne voulait pas montrer l'irrémédiable : la mort de soldats dans une guerre lointaine.
Il me revient encore une image, celle de la photographie de copains en Algérie. Il y en a tant de ces photos de «bidasses» ! Olivier Todd dans Les Paumés raconte : «Il y avait la rage des photographies. Pourquoi tous ces soldats éprouvaient-ils un plaisir si sensible à se voir, à se retrouver sur une photo, une déception si profonde à ne pas figurer sur telles autres ? Parce que ce morceau de carton prouvait un peu plus ou un peu moins qu'ils étaient encore entiers ?»
Il y a encore une lettre qui arrive dans une caserne d'Algérie. Mots minuscules, humbles, murmurés, «bredouilles» à travers lesquels s'exprime ce que le monde a de plus réel : la peine de la séparation, la cruauté d'une guerre suggérée, sa terrible ambiguïté et aussi la description de précieux moments de la vie ordinaire, de l'autre côté de la Méditerranée, en France. La tendresse, l'amour d'une jeune fille ou la rupture, la séparation. Marc Garanger, dans La guerre d'Algérie vue par un appelé, se rappelle : «Un jour, un copain vous demande de lui lire une lettre qu'il ne parvient pas à déchiffrer. Une lettre qui dit : "Je ne t'aime plus, j'en ai trouvé un autre... Salut." Le copain craque ; on se dit : pauvre vieux, il n'a pas de chance. Et puis un jour, cette lettre, on la reçoit. Dans la chambrée, personne n'y a échappé.»
Présentation de l'éditeur :
Le premier livre objet sur la guerre d Algérie, par Benjamin Stora et Tramor Quemeneur
La guerre d Algérie comme vous ne l avez jamais vue
Pendant plus d une année, Benjamin Stora est allé à la rencontre de ceux qui ont participé à ce long conflit : anciens combattants d Afrique du Nord, d acitve ou appelés, militants nationalistes du FLN-ALN, harkis, pieds-noirs, opposants à la guerre. Tous ont ouvert leurs archives, à la recherche des traces du passé.
Le choc d un livre tout en couleurs, grâce aux « Instamatic Kodak » des appelés et aux couleurs des documents originaux.
Plus de 100 documents inédits en fac-similés, rassemblant toutes les mémoires de ce conflit fratricide en un seul livre.
Avec notamment :
L album de famille d un jeune pied-noir La note de service d un colonel contre les mauvais traitements infligés aux Algériens Le livret de vocabulaire arabe-français donné aux appelés La carte postale d un para décrivant un bombardement au napalm Un exemplaire du journal clandestin du FLN El Moudjahid Une pétition de femmes algériennes adressée au général de Gaulle Des dessins, des photos et des courriers de jeunes écoliers algériens à un officier français instituteur dans le bled Des tracts anti-FLN et une liste d opérations d une section de quadrillage Une lettre inédite d Albert Camus sur les déchirements algériens Le manuscrit original du discours de de Gaulle « Je vous ai compris » L agenda annoté de Michel Debré, premier ministre au moment du putsch Les lettres d injures reçues par le directeur du Monde Hubert Beuve-Méry et ses réponses La lettre d un soldat français annonçant à ses parents qu il déserte Les écrits inédits de Jules Roy, pied-noir, officier et favorable à l indépendance La note de service « secret défense » organisant un essai atomique dans la Sahara Le journal de prison d un militant FLN La dernière lettre d un soldat français avant son exécution par l ALN Des tracts et des affiches OAS La Une de France Soir annonçant les accords d Evian Le registre d indemnisation d une famille pied-noire avec l inscription « maison pillée » Un billet de bateau Alger-Paris
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