L’Art Brut est « farouche et furtif comme une biche », écrivait Jean Dubuffet, au contraire de « l’art coutumier », dont on parle le plus souvent quand on parle d’art, qu’il soit classique, romantique, baroque, moderne... Le second est du côté de l’empaillé, de l’ordonné. Le premier est du côté du sauvage, de l’insaisissable. Il est difficile cependant d’en dire plus de l’Art Brut, sans « le tuer presque ». Pour qu’il ne se retrouve pas à son tour pris dans l’étau des normes culturelles imposée par l’élite sociale, Jean Dubuffet voulait inventer une manière de ne pas définir l’Art Brut. Il insiste sur cela dès 1947, avec son sens de la provocation : « Formuler ce qu’il est cet Art Brut, sûr que ce n’est pas mon affaire. Définir une chose – or déjà l’isoler – c’est l’abîmer beaucoup. C’est la tuer presque». Les façons de ne pas définir l’Art Brut, pour Dubuffet, sont nombreuses, prolixes, parfois contradictoires, de façon revendiquée. C’est ce que le présent volume donne à comprendre, rassemblant l’ensemble de ses écrits sur la question, de 1945 et 1985. Réflexions pour la Compagnie de l’Art Brut qu’il fonde en 1948 à Paris, lettres à André Bretons, aux personnalités du monde psychiatrique Jean Oury ou Jacqueline Porret-Forel, mais aussi hommages aux œuvres de Paul End, Clément, Joseph Heu, Berthe U, Aloïse, Laure– : multiples sont les directions de sa pensée, qui se veut toujours ouverte. Si l’on ne peut affirmer ce qu’est l’Art Brut, il reste qu’on peut se mouvoir théoriquement sur les traces d’une pluralité de pratiques. « N’importe quelle affirmation, si on la maintient sur un long parcours, se change en absurdité. Je crois que la pensée n’obtient de fruits utilisables qu’en se constituant en circulation plurielle, par étages qui se superposent, comme le sens des voitures sur les voies étagées de Tokyo », disait encore Dubuffet. C’est bien de cette manière non univoque qu’il envisage l’Art Brut, comme les voies rapides qui traversent une métropole, se croisent, bifurquent, spiralent, portant attention au flux incessant de lueurs dans la nuit et à chaque « déchaînement d’ingéniosité et d’innovation » dans sa singularité.
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Inscrit dans la modernité, Jean Dubuffet (1901-1985) explore l’humain à l’encontre des mouvements, des acquis de l’œuvre, des principes qui régissent le monde de l’art. Esprit subversif, réputé iconoclaste, tout à la fois peintre et sculpteur, dessinateur et lithographe, écrivain, architecte, homme de théâtre et musicien, Dubuffet apparaît comme un féroce adversaire de la prétention culturelle et un fervent partisan d’une expression originale et extra culturelle. Inventeur de l’Art Brut, ses écrits sont très nombreux, mais aussi ses correspondances : Personne n’est à l’intérieur de rien avec Valère Novarina et De l’Art Brut aux Beaux-Arts convulsifs avec Marcel Moreau, notamment, sont parues à L’Atelier contemporain en 2014.
« Le vrai art il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito. Sitôt qu’on le décèle, que quelqu’un le montre du doigt, alors il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré qui porte sur son dos une grande pancarte où c’est marqué ART, que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez. C’est le faux monsieur Art celui-là. C’est celui que le public connaît, vu que c’est lui qui a le laurier et la pancarte. Le vrai monsieur Art pas de danger qu’il aille se flanquer des pancartes ! Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu’il n’en a pas du tout l’air. Vous comprenez, c’est le faux monsieur Art qui a le plus l’air d’être le vrai et c’est le vrai qui n’en a pas l’air ! Ça fait qu’on se trompe ! Beaucoup se trompent ! » (L’Art Brut préféré aux arts culturels, 1949)
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Destinations, frais et délaisVendeur : Gallix, Gif sur Yvette, France
Etat : Neuf. N° de réf. du vendeur 9782850351327
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