La Révolution par ceux qui l'ont vue - Couverture souple

Lenotre, G.

Couverture souple

ISBN 10 : 2919351206 ISBN 13 : 9782919351206

Editeur : Archéos Editions, 2011

A propos du livre

Extrait

La maison minée

Quand on conduisait les enfants jouer aux Tuileries, dans les premières années du règne de Louis XVI, on les habillait comme pour une cérémonie. Un marmot de six ans aurait été déshonoré si, pour faire des tas de sable ou lancer le diable, il se fût montré autrement qu'en habit à basques, en culottes, bas et escarpins, avec les cheveux roulés, frisés et poudrés, une queue nouée d'un beau ruban, le tricorne en tête, des dentelles au jabot et aux poings.

Les premiers bambins qui parurent affranchis de ces falbalas d'étiquette furent les trois garçonnets du philosophe Girardin, l'ami de Jean-Jacques. Ils arrivèrent un jour aux Tuileries vêtus en matelots à l'anglaise, chapeau rond, veste sans basques et pantalon. La huée fut générale. Puis on s'accoutuma à ce travestissement ; certains enfants obtinrent d'imiter les petits Girardin. Ce fut le véritable début de la Révolution.

Le baron de Frénilly, qui nous rapporte ces événements de sa petite enfance, comptait alors six ou sept ans ; il avait pour parents des gens nés, riches et terriblement snobs, ainsi que l'étaient d'ailleurs, à cette époque, toute la ville et toute la Cour. Quand il n'avait pas encore dix ans, par exemple, sa mère s'était mis en tête de lui faire voir Voltaire, alors de passage à Paris, où il mourut, comme chacun sait, d'une «indigestion de gloire». L'enfant se souciait peu d'approcher l'auteur de Mérope; mais la maman estimait cela de bon ton; elle souhaitait que toute la vie de son fils fût éclairée par ce souvenir et qu'il pût dire à ses arrière-petits-enfants : J'ai vu Voltaire ! Ce qui assurait la gloire de toute la lignée.

Le petit Frénilly fut sermonné pendant huit jours : sa mère lui serina une quantité de vers ou de morceaux choisis dans l'oeuvre du patriarche de Femey, de façon qu'il en eût de quoi répondre par une citation à toutes les questions que lui poserait inévitablement le dieu. Qui êtes-vous ? Un vers. - Qu'est-ce que vous demandez ? - Un autre vers. - A quoi vous destinez-vous ? - Un couplet. Le tout tiré de Zaïre, de l'Orphelin de la Chine ou de la Henriade. L'idée était du dernier galant.

Quand il eut emmagasiné assez d'hémistiches pour répliquer au questionnaire le plus imprévu, on lui passa un habit de satin vert pomme doublé de soie rose, une culotte de même splendeur, des bas de soie, des souliers à boucles; épée au côté, chapeau sous le bras et triple frisure; puis on lâcha le petit singe sur le quai des Théatins qu'habitait le grand homme. Une foule y stationnait jour et nuit, dans l'espoir d'apercevoir aux vitres le profil du patriarche, Le petit Frénilly joua des coudes, se faufila jusqu'à la porte, se glissa dans un étroit escalier d'entresol que sa mère lui avait bien décrit, rencontra sur le palier «une espèce de valet de chambre» qui lui ouvrit, sans façon, une petite porte... Et il se trouva face à face avec un squelette enseveli dans un grand fauteuil et qu'un bonnet à longs poils couvrait jusqu'aux yeux. C'était Lux ! L'enfant avait compté sur des heures d'antichambre et de solennelles traversées d'innombrables salons : il resta pétrifié; sa petite cervelle se vida, subitement, de toute la leçon apprise. Une voix caverneuse siffla : «Oh ! le joli enfant ! Approchez, mon petit ami; comment vous appelle-t-on ?» Le bambin avait dix vers pour cette question-là. «- Monsieur, répondit-il, je m'appelle Frénilly - Et qui est votre père ?» (Six vers au choix !) «- Monsieur il est receveur général.» Le squelette râla encore à plusieurs reprises : «Oh ! le joli enfant !» (...)

Présentation de l'éditeur

Voici 37 histoires et portraits de personnages, illustres ou inconnus, qui ont été au coeur de la tourmente révolutionnaire. Dans ces récits, G. Lenotre fait revivre l'histoire de l'intérieur, décrivant le quotidien ainsi que mille et un détails des acteurs ou des victimes de la «grande histoire» en ces temps troublés de la Révolution.
Par ces récits, il nous fait comprendre que tous ces gens, aujourd'hui égaux par-delà le tombeau, étaient des êtres humains, pétris d'idéaux et de passions, mais aussi de bassesses et d'ambitions, certains aveuglés par une idéologie qui a fini par en broyer un grand nombre.

L'auteur : Après des études chez les pères jésuites, G. Lenotre entre comme employé au ministère des finances. Devenu journaliste, il collabore à La Revue des Deux mondes et au Figaro où il écrit ses premiers récits d'histoire. Spécialiste de l'histoire de la Révolution française, il publie un nombre important d'ouvrages sur le sujet, dans un style narratif et anecdotique, qui ont influencé des historiens comme André Castelot et Alain Decaux.
Après avoir tenté une première fois d'entrer à l'Académie française en 1909, au fauteuil de Victorien Sardou, il est élu en 1932 au fauteuil de René Bazin, mais meurt le 7 février 1935 avant d'avoir prononcé son discours. Il est l'auteur de plus de 50 livres, dont la plupart sont réédités dans cette collection.

Détails de l'édition

• Éditeur: Archéos Editions
• Date d'édition: 2011
• ISBN 10: 2919351206
• ISBN 13: 9782919351206
• Reliure: Broché
• Langue: français
• Nombre de pages: 229