Synopsis
«Les vieillards sont-ils des hommes ? À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d'en douter. Elle admet qu'ils n'ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité puisqu'elle leur refuse le minimum que ceux-ci jugent nécessaire ; elle les condamne délibérément à la misère, aux taudis, aux infirmités, à la solitude, au désespoir. Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d'ailleurs contradictoires, qui incitent l'adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague. Qu'on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l'en exile. Mais plutôt que de déguiser la réalité, on estime encore préférable de radicalement l'ignorer : la vieillesse est un secret honteux et un sujet interdit. Quand j'ai dit que j'y consacrais un livre, on s'est le plus souvent exclamé : "Quelle idée ! C'est triste ! C'est morbide !" C'est justement pourquoi j'ai écrit ces pages. J'ai voulu décrire en vérité la condition de ces parias et la manière dont ils la vivent, j'ai voulu faire entendre leur voix ; on sera obligé de reconnaître que c'est une voix humaine. On comprendra alors que leur malheureux sort dénonce l'échec de toute notre civilisation : impossible de le concilier avec la morale humaniste que professe la classe dominante. Celle-ci n'est pas seulement responsable d'une "politique de la vieillesse" qui confine à la barbarie. Elle a préfabriquée ces fins de vie désolées ; elles sont l'inéluctable conséquence de l'exploitation des travailleurs, de l'atomisation de la société, de la misère d'une culture réservée à un mandarinat. Elles prouvent que tout est à reprendre dès le départ : le système mutilant qui est le nôtre doit être radicalement bouleversé. C'est pourquoi on évite si soigneusement d'aborder la question du dernier âge. C'est pourquoi il faut briser la conspiration du silence : je demande à mes lecteurs de m'y aider.» Simone de Beauvoir.
À propos de l?auteur
Simone de Beauvoir a écrit des Mémoires où elle nous donne elle-même à connaître sa vie, son oeuvre. Quatre volumes ont paru de 1958 à 1972 : Mémoires d'une jeune fille rangée, La force de l'âge, La force des choses, Tout compte fait , auxquels s'adjoint le récit de 1964 Une mort très douce. L'ampleur de l'entreprise autobiographique trouve sa justification, son sens, dans une contradiction essentielle à l'écrivain : choisir lui fut toujours impossible entre le bonheur de vivre et la nécessité d'écrire. D'une part la splendeur contingente, de l'autre la rigueur salvatrice. Faire de sa propre existence l'objet de son écriture, c'était en partie sortir de ce dilemme. Simone de Beauvoir est née à Paris le 9 janvier 1908. Elle fait ses études jusqu'au baccalauréat dans le très catholique cours Desir. Agrégée de philosophie en 1929, année où elle rencontre Jean-Paul Sartre, elle enseigne à Marseille, à Rouen et à Paris jusqu'en 1943. Quand prime le spirituel est achevé bien avant la guerre de 1939 mais ne paraît qu'en 1979. C'est L'invitée (1943) qu'on doit considérer comme son véritable début littéraire. Viennent ensuite Le sang des autres (1945), Tous les hommes sont mortels (1946), Les mandarins, roman qui lui vaut le prix Goncourt en 1954, Les belles images (1966) et La femme rompue (1968). Outre le célèbre Deuxième sexe, paru en 1949, et devenu l'ouvrage de référence du mouvement féministe mondial, l'oeuvre théorique de Simone de Beauvoir comprend de nombreux essais philosophiques ou polémiques, Privilèges, par exemple (1955), réédité sous le titre du premier article, Faut-il brûler Sade ?, et La vieillesse (1970). Elle a écrit, pour le théâtre, Les bouches inutiles (1945) et a raconté certains de ses voyages dans L'Amérique au jour le jour (1948) et La longue marche (1957). Après la mort de Sartre, Simone de Beauvoir publie La cérémonie des adieux (1981), et les Lettres au Castor (1983) qui rassemblent une partie de l'abondante correspondance qu'elle reçut de lui. Jusqu'au jour de sa mort, le 14 avril 1986, elle collabore activement à la revue fondée par elle et Sartre, Les Temps modernes, et manifeste sous des formes diverses et innombrables sa solidarité totale avec le féminisme.
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