Synopsis
Consacrée à l oeuvre de Juan Gris, (1887-1927) cette exposition a pour propos de mettre n évidence le rôle particulier, et singulier, qui a été celui de l artiste dans l esthétique cubiste qu il a su renouveler en apportant à l entreprise initiée par ses deux illustres prédécesseurs, Picasso et Braque, une dimension à la fois intellectuelle et constructive. Si Gris enrichit de sa propre personnalité l expérience de la décomposition analytique du motif, il n aura de cesse de chercher à atteindre une perfection de l équilibre entre la référence au réel et une architecture de l oeuvre ayant ses propres lois plastiques, son propre langage. La synthèse s opère chez lui par un dépouillement de plus en plus marqué, par une respiration nouvelle de l espace jusqu alors souvent confiné chez les peintres cubistes, par un éclatement de la couleur tout à fait atypique dans l esthétique cubiste, par une sensibilité personnelle qui le conduit à observer la vie intérieure de chacun de ses sujets. Ainsi l intellectualisation qui conduit sa démarche, et qui a parfois été qualifiée de « froideur », accorde-t-elle une large place à la sensualité plastique. « Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux », écrivait-il en 1915 à Kahnweiler, témoignant alors d une préoccupation qui était la sienne et qui le fit recourir à bien des reprises à une terminologie poétique lorsqu il parlait de sa peinture. L exposition réunit des oeuvres de provenances internationales, qu il s agisse de collections publiques ou de collections particulières (Etats- Unis, Espagne, Suisse, Israël, Japon, France...). Ce catalogue rassemble notamment des essais de plusieurs auteurs spécialistes du peintre et du cubisme (Ithzak Goldberg, Patrick-Gilles Persin) ainsi que de Maïthé Vallès-Bled, directrice du musée Paul Valéry et commissaire de l exposition.
Extrait
Introduction de Maïthé Vallès-Bled, Conservateur en chef du Patrimoine Directrice du Musée Paul Valéry
Peu d'expositions sont, somme toute, consacrées à Juan Gris dans le monde. Les deux dernières en France le furent par le Musée de l'Orangerie en 1974 et par le Musée Cantini de Marseille en 1998. Plus récemment, le Musée national de la Reina Sofia a organisé en 2005 à Madrid une grande rétrospective qui demeure aujourd'hui l'exposition de référence. Cela tient sans doute au fait que pendant longtemps l'oeuvre de Juan gris est demeurée méconnue, parce que considérée d'emblée comme le prolongement des innovations introduites dans la peinture par ses deux illustres aînés, Picasso et Braque. Cela tient sans doute aussi, mais certes pour une moindre part, à la difficulté de réunir les oeuvres d'un artiste qui eut une carrière particulièrement brève - disparu à l'âge de quarante ans, Juan Gris n'aura peint que pendant dix-sept années - et qui laisse une production d'environ six cents peintures, ce qui est évidemment très peu en comparaison des quelques milliers d'oeuvres que compte celle de Braque et des plusieurs dizaines de milliers de celle de Picasso.
Arrivé à Paris à l'automne 1906, Juan Gris, qui a pu obtenir un atelier au Bateau-Lavoir grâce à Picasso, assiste à la naissance du cubisme. Il voit s'élaborer, dans les dernières années de la première décennie du XXe siècle, la première phase du cubisme qui sera par la suite qualifiée d'analytique, dont il va à son tour assimiler les innovations en y apportant sa propre vision. Une vision relevant d'une approche intellectuelle et plastique qui le conduit à une synthèse personnelle et qui lui attribue une place essentielle dans l'élaboration de la seconde phase du cubisme, dite synthétique.
C'est cette seconde phase, qui prend pleinement sa dimension chez Gris pendant les années de la Première guerre mondiale, que retient cette exposition. Après un bref rappel de la période antérieure, elle propose un éclairage du rôle particulier de l'artiste dans l'évolution de l'esthétique cubiste, le langage plastique qui a été le sien, le caractère singulier de sa démarche. Car si Juan Gris enrichit de sa propre personnalité l'expérience de la décomposition analytique du motif, il n'aura de cesse de chercher à atteindre une perfection de l'équilibre entre la référence au réel et une architecture de l'oeuvre ayant ses propres lois, son propre langage. La synthèse s'opère chez lui par un dépouillement de plus en plus marqué, par une respiration nouvelle d'un espace souvent fermé chez les peintres cubistes, par un éclatement de la couleur tout à fait atypique dans l'esthétique cubiste, par une sensibilité personnelle qui le conduit à observer la vie intérieure de chacun de ses sujets.
Ainsi l'intellectualisation qui anime sa démarche, et qui a parfois été qualifiée de «froideur», accorde-t-elle une large place à la sensualité plastique. «Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux», écrivait-il en 1915 a son marchand Daniel-Henry Kahnweiler, témoignant très tôt d'une préoccupation qui le fit recourir à maintes reprises à une terminologie poétique lorsqu'il parlait de sa peinture. Dans un de ses textes publié dans L'Esprit Nouveau en 1921, il précisait son désir «d'humaniser» la peinture et expliquait ses recherches en se référant à Cézanne : «Cézanne d'une bouteille fait un cylindre, moi [...] d'un cylindre je fais une bouteille, une certaine bouteille. Cézanne va vers l'architecture, moi j'en pars. C'est pourquoi je compose avec des abstractions (couleurs) et j'arrange quand ces couleurs sont devenues des objets. Par exemple, je compose avec un blanc et un noir et j'arrange quand ce blanc est devenu un papier et le noir une ombre ; je veux dire que j'arrange le blanc pour le faire devenir un papier et le noir pour le faire devenir une ombre. Cette peinture est à l'autre ce que la poésie est à la prose».
Rimes de la forme, rimes de la couleur - qu'il a lui-même nommées «rimes plastiques» et qui sont au centre de ses préoccupations au lendemain de la guerre -, ainsi s'élabore chez Gris une synthèse qui, en ne cessant d'interroger les formes, de les confronter en un dialogue permanent, de souligner leurs ressemblances, continue de demeurer fidèle à une indéfectible rigueur de construction et introduit dans ses compositions une poétique silencieuse.
La confrontation des oeuvres réunies a pour propos essentiel de mettre en évidence les métaphores plastiques, les multiples qualifications formelles du sujet - natures mortes sans cesse questionnées, de plus en plus dépouillées, personnages livrés tels des archétypes, sculpturaux et théâtralisés -qui caractérisent les recherches de Juan Gris et qui, bien des années plus tard, feront dire à Picasso devant un de ses tableaux que lui montrait Kahnweiler : «C'est beau un peintre qui savait ce qu'il faisait».
Les commentaires qui accompagnent les oeuvres, critiques contemporaines de l'artiste, écrits de Kahnweiler ou de Juan Gris lui-même, permettent par ailleurs de cerner la manière dont son oeuvre fut reçue de son vivant, de préciser à quel point Kahnweiler avait su immédiatement déceler la singularité de la démarche du peintre, et de mesurer la clarté du cheminement qui fut celui de Juan Gris.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.